mercredi 21 octobre 2009

Souffrance – Douleur ? L’éclairage de Paul Ricœur

Quand la souffrance, la douleur et le stress s’emparent de la vie au travail, le questionnement des nuances différenciant ces notions s’inscrit dans la référence à des pensées déployées dans le respect et la rigueur. Pour la psychologie du travail, se référer à la pensée du philosophe Paul Ricœur est éclairant.

Dans sa démarche de compréhension de l’homme, Paul Ricœur, dans un article intitulé «La Souffrance n’est pas la douleur» (1) écrit :
«On s’accordera donc pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés dans des organes particuliers du corps ou dans le corps entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement – toutes choses que nous allons considérer un peu plus loin. Mais la douleur pure, purement physique, reste un cas limite, comme l’est peut-être la souffrance supposée purement psychique, laquelle va rarement sans quelque degré de somatisation. Ce chevauchement explique les hésitations du langage ordinaire : nous parlons de douleur à l’occasion de la perte d’un ami, mais nous déclarons souffrir d’un mal de dents. C’est donc comme idéal-type que nous distinguons la douleur et la souffrance sur la base des deux sémiologies que l’on vient d’énoncer.»

Une représentation des phénomènes du souffrir est proposée par Ricœur comme la rencontre de deux axes qui s’avèreront être orthogonaux : l’axe agir-pâtir et l’axe du rapport soi-autrui. Il envisage donc un premier axe allant de l’agir au pâtir sur lequel la souffrance «consiste dans la diminution de la puissance d’agir», ainsi «seuls des agissants peuvent être aussi des souffrants ». L’axe agir-pâtir est coupé par un second axe allant de soi à autrui, sur lequel la souffrance peut être vécue replié sur soi ou peut tendre à se raconter en une histoire acceptable. Ces deux axes sont traversés par la demande du sens de la souffrance, allant de l’interrogation à la stupeur muette.

Le sens premier du mot souffrir, endurer, semble constituer pour Ricœur un signe distinctif des deux notions : «endurer, c’est-à-dire persévérer dans le désir d’être et l’effort pour exister en dépit de… C’est ce “en dépit de…” qui dessine la dernière frontière entre la douleur et la souffrance, lors même qu’elles habitent le même corps.»

Les entrelacs de l’usage des mots souffrance, douleur, stress, par les hommes et les femmes qui disent leur vécu subjectif au travail, témoignent de l’engagement de soi dans le travail et des empreintes que la confrontation aux épreuves du réel de l’activité inscrit dans le corps et dans le psychisme.

Valérie Tarrou

(1) Ricœur, P. (1992). « La Souffrance n’est pas la douleur », revue Psychiatrie française, numéro spécial juin 92.

1 commentaire:

  1. Merci, pour cet éclairage de Paul Ricoeur. Je rédige en ce moment mon mémoire terminal en psycho clinique du travail (Cnam) dans lequel j'aborde le thème de la souffrance, alors ça tombe bien, ce sont des infos supplémentaires pour moi.

    Sara

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