samedi 27 novembre 2010

Comment le travail peut-il faire si mal ?

Dans la démarche d’analyse et de compréhension d’une situation génératrice de souffrance au travail existe une interrogation douloureuse récurrente formulée par les salariés : «Comment le travail peut-il faire si mal ?»

Le ton de la voix parle de trahison. D’expérience structurante, le travail est devenu destructeur. Certains témoignent du soutien trouvé dans l’exercice de leur travail lors d’un divorce, d’autres de la ressource qu’a constitué leur activité pendant le traitement d’une longue maladie. Que le sens du travail ait déjà été ainsi mis en tension ou vécu sans questionnement par le salarié, l’ampleur de la souffrance ressentie provoque en elle-même une sidération de la pensée du sujet.

Dans une même phrase un sujet en souffrance du fait de son travail peut confier «au travail, j’étais une personne», puis enchaîner «je ne comprends pas ce qui m’arrive, pourquoi je suis détruit par cette histoire». Le lien est difficile à ressentir et à penser entre la centralité du travail dans l’équilibre de la vie et l’atteinte majeure que la dégradation des conditions du travail porte à la santé.

La souffrance est vécue au présent, massive, sans distanciation. La perte de l’espoir de changer la situation dans l’organisation du travail marque le passage à un état pathogène qui attaque le corps, la cognition, la dignité et l’estime de soi.

«Fatigue, maux de tête, de ventre, douleurs articulaires, etc., notre corps est le premier à nous signaler que les limites sont atteintes. Puis l’anxiété monte avec l’apparition de troubles du sommeil, l’augmentation de la prise de médicaments ou d’alcool. Lorsque nous commençons à avoir peur d’aller travailler et que les ruminations deviennent obsédantes, il est urgent de se faire aider.» conseille Marie Pezé, psychologue et psychanalyste.

Pour un sujet, il n’y a que la médiation de la parole pour exprimer un ressenti qui ne se voit pas. Une parole désirée par le sujet, adressée et accueillie dans un cadre qui permette l’expression d’une parole authentique sur le travail. A l’extérieur de l’entreprise, afin de ne pas rester isolé, le salarié peut se tourner vers le médecin du travail, son médecin généraliste ou une consultation spécialisée.

Le rapport au travail est ambigu, en parler révèle ses ambiguïtés. Il est difficile de cheminer vers la compréhension d’une situation de travail sans en rapatrier les contradictions à l’intérieur de soi et ainsi percevoir sa part de contribution à l’insupportable. Il est alors important d’établir une chronologie des événements qui va éclairer l’enchainement des modifications des conditions de travail et généralement aider le salarié à prendre conscience que bien qu’impliqué il n’est pas responsable.

Quand donner du sens à son action n’est plus permis car pointé comme indésirable pour atteindre des objectifs qui relèvent de l’idéal et non du réalisable, quand on en vient à mobiliser son intelligence pour réaliser des actes réprouvés, quand confiance, solidarité et collectifs sont découragés et que la situation au travail est vraiment difficile à supporter, il faut connaître ses droits, ne pas hésiter à les faire valoir et, dans la mesure du possible, rétablir la parole collective pour dire ce qui dysfonctionne dans le travail.

Valérie Tarrou

mardi 23 novembre 2010

Marie-France Hirigoyen : « Toutes les violences sont liées »

Psychiatre, auteure d’ouvrages sur le harcèlement moral dans le monde du travail (1) et sur la violence dans le couple, le docteur Marie-France Hirigoyen est interviewée par Clicanoo.re le Journal de l’île de la Réunion où elle anime actuellement des formations.

« J’essaie d’expliquer la mise en place de la violence conjugale, qui a des conséquences sur le devenir des enfants, parce qu’ils y assistent. Et j’essaie de montrer que toutes les violences sont liées : faire de la prévention pour les violences conjugales, c’est faire de la prévention des autres violences : au travail, ou celle des jeunes qui peuvent devenir délinquants, ou celle des maris violents. Ce n’est pas une fatalité, il faut faire de l’éducation. »
Pour lire l’intégralité de cet article du 23 novembre 2010 :
http://www.clicanoo.re/11-actualites/15-societe/264779-toutes-les-violences-sont-liees.html
1) Cf. article du 30 mai dans ce blog sur le harcèlement moral.

mardi 16 novembre 2010

Yves Clot : défendre la qualité du travail

Dans une interview accordée à l'Humanité, le 15 novembre, Yves Clot (1) aborde la question des liens entre santé et qualité du travail et la développe dans le contexte de la réforme des retraites : « Mais on vient d’officialiser le fait que la maladie, le handicap ou la souffrance soient le dernier recours pour se sortir d’un travail usant et soi-disant intouchable. Il faudra prouver qu’on est une victime et jouer de ses infirmités pour s’échapper du travail. Est-ce là l’idée qu’on se fait du travailleur? » Pour lire l'article dans son intégralité :
http://www.humanite.fr/14_11_2010-yves-clot-%C2%AB-s%E2%80%99attaquer-au-conflit-sur-la-qualit%C3%A9-du-travail-%C2%BB-457685
1) Titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam. Dernier livre : le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Éditions La Découverte, 2010.

samedi 13 novembre 2010

Actualités sur la réforme de la médecine du travail

Lors d’une interview à Medecinews, Marie Pezé avait souligné l’importance de la fonction du médecin du travail face à la souffrance au travail : « L’image du médecin du travail est malheureusement souvent négative alors qu’il est un acteur médical central dans l’entreprise puisqu’il est le conseiller du salarié comme du chef d’entreprise. Il est le seul à pouvoir entrer dans l’entreprise, faire une visite de poste, mettre inapte temporairement ou définitivement, faire muter, reclasser, alerter sur une situation de harcèlement véritable. Il fait appliquer le Code du travail. Les pratiques de coopération avec lui sont fondamentales et il est soumis au secret professionnel comme les autres médecins. »

Dans le même mouvement que la réforme des retraites se profilaient des modifications du cadre législatif de la médecine du travail. Le Conseil constitutionnel a censuré les articles entraînant ces changements qui auraient directement affecté tant les praticiens que les salariés. L’article de Cécile Azzaro (AFP 9-11-10), reproduit ci-dessous, détaille cette actualité de la réforme des services de santé au travail.

« Le gouvernement entend remettre rapidement sur la table la réforme de la médecine du travail, introduite en catimini dans le texte sur les retraites et invalidée mardi par le Conseil constitutionnel, afin notamment d'améliorer la prévention et de faire face à la pénurie de médecins. Le Conseil constitutionnel a validé mardi la réforme des retraites adoptée par le Parlement le 27 octobre, mais censuré le volet sur la médecine du travail qui avaient été ajouté par amendements, au motif qu'il s'agissait de "cavaliers législatifs" sans lien "avec le projet de loi initial".
Le ministre du Travail, Eric Woerth, a aussitôt déclaré que "compte tenu du caractère indispensable de la réforme de la médecine du travail pour la santé des salariés, les articles censurés feront l’objet d’un projet de loi spécifique dans les meilleurs délais".
Mais la décision du Conseil constitutionnel a été saluée par les syndicats et les professionnels de santé au travail, qui avaient dénoncé à plusieurs reprises une réforme introduite "en catimini", au moment où les risques psychosociaux (stress, violence au travail, harcèlement, suicides) et les maladies professionnelles augmentent.
Cette réforme est dans les tuyaux depuis plus de deux ans, et des rapports ont déjà souligné l'urgence à renforcer la prévention des risques professionnels et à pallier la pénurie de médecins du travail. La France n'en compte que 6 500 (dont trois quarts ont plus de 50 ans), chargés de suivre près de 16 millions de salariés du privé, dans des services de santé au travail autonomes ou interentreprises.
La réforme souhaitée par le gouvernement instaure des équipes pluridisciplinaires de santé au travail, comprenant notamment médecin du travail, intervenants en prévention des risques professionnels et infirmiers. Elle permet aussi à l'employeur de désigner dans l'entreprise des "salariés compétents" chargés de la prévention des risques, et prévoit que le suivi de certains salariés (intermittents du spectacle, salariés du particulier-employeur) soit réalisé par des généralistes.
Les syndicats espèrent que la censure du Conseil constitutionnel sera l'occasion d'"une vraie discussion", explique Jean-Marc Bilquez (Force ouvrière), et que "cela obligera le gouvernement à faire d'autres propositions", ajoute Mireille Chevalier, du Syndicat national des Professionnels de Santé au Travail.
Le gouvernement a jugé de son côté que la décision du Conseil constitutionnel n'était "en aucun cas un rejet (...) sur le fond", même si le Conseil ne s'est prononcé que sur la forme.
Les syndicats estiment notamment que la réforme met à mal l'indépendance des médecins du travail, en les assujettissant davantage aux employeurs.
"La prévention en santé au travail ne doit pas dépendre des employeurs", si l'on veut faire le lien entre santé et travail, insiste Odile Chappuis, membre d'un collectif de médecins du travail.
D'autres dénoncent une fausse parité syndicats-employeurs au sein des conseils d'administration des services de santé au travail, puisque que le président, qui a une voix prépondérante, ne peut être issu que des employeurs. "On veut un système paritaire, avec alternance du président et du trésorier", explique Bernard Salengro, qui dénonce "des détournements financiers".
"Il faut en finir avec ce paritarisme patronal", ajoute Jean-François Naton (CGT), en jugeant la réforme "urgente".
La Fnath, association des accidentés du travail, espère quant à elle voir surgir "un véritable débat au sein du Parlement mais aussi de la société civile". »
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jXmLq_Gpxx1DnAF1K3AIKLsYWf7Q?docId=CNG.9173de61e52adabd7200a5b2fa27ffbc.51

Valérie Tarrou

jeudi 21 octobre 2010

Pouvoirs et libertés dans le cadre d’un contrat de travail

La signature d’un contrat de travail engage.

Parce que travailler répond à des préoccupations financières, participe à une intégration sociale et à une construction de soi, et parfois clôture une difficile période de chômage, la signature d’un contrat de travail s’accompagne d’enjeux et d’émotions qui brouillent la conscience juridique qu’un tel acte exigerait.

Contrairement aux discours de certains recruteurs, travailler ce n’est pas « rejoindre une grande famille », ou « partager les valeurs éthiques du groupe et intégrer sa dimension humaine ». Point de naïveté, un contrat de travail est constitué de droits et d’obligations pour les deux parties signataires ! Etre présent, ponctuel, consciencieux et en retour disposer de conditions de travail correctes et d’une paie régulière : ces éléments ne constituent qu’une part du cadre de l’exercice d’une fonction. L’acte de travailler est assorti d’usages, de règlements intérieurs, de conventions et d’accords collectifs, également d’arrêtés, de décrets, de lois nationales ainsi que de règles européennes.

Cet arsenal juridique dans le réel de l’activité quotidienne n’empêche pas directement les gestes et les pensées du sujet habité par l’exigence de faire et de bien faire son travail. Mais qu’advient-il quand apparaissent fusion, plan social, pression financière, remaniement gestionnaire, mutation voire délocalisation ? Quand le désir de bien faire le travail ne constitue plus le centre des préoccupations communes employeur-salarié au profit de l’exclusive notion de rentabilité ? Quand se murmure la question « Mais ils ont le droit de faire ça ? ». Alors, il est temps de revenir aux droits et obligations de chacune des parties signataires d’un contrat de travail.

Quelles sont les obligations premières d’un employeur ?
- Fournir un travail correspondant à l’objet, au lieu, aux conditions d’exécution et horaires prévus, ainsi que les moyens de réaliser ce travail.
- Respecter la réglementation du travail, dans toutes ses composantes (du contrat à la loi), relative à la durée du travail, aux congés, au salaire, à l’hygiène et à la sécurité, à la représentation du personnel, etc.
- Verser le salaire prévu au contrat, selon la périodicité convenue, accompagné d’un bulletin de paie.

Quelles sont les obligations premières d’un salarié ?
- L’exécution consciencieuse du travail fourni par l’employeur en contrepartie du salaire versé. Cela suppose de prendre soin du matériel confié, de suivre les instructions données et d’éviter les erreurs ou les négligences répétées.
- Un devoir de loyauté est attendu du salarié. Il ne doit pas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise en commettant des actes de concurrence déloyale. Un salarié peut éventuellement être tenu à une obligation de discrétion.
- Le lien de subordination qui lie le salarié à l’employeur impose de respecter la discipline, les directives hiérarchiques et les clauses du règlement intérieur qui lui sont opposables de plein droit.

Le lien de subordination (1) découlant du contrat de travail place le salarié sous l’autorité de l’employeur, ce qui limite une partie de ses droits, de ses libertés personnelles et de son autonomie. La jurisprudence considère qu’il y a un transfert des libertés du salarié vers l’entreprise dont une part reste inaliénable. L’expression de cette limite passe par le règlement intérieur qui bien qu’encadré par la loi reste un acte unilatéral d’expression de la volonté de l’employeur.

A chaque signature d’un nouveau contrat de travail, il paraitrait opportun que soient annexés des extraits du code du travail précisant les droits et les obligations du salarié et de l’employeur.

Cela permettrait au salarié de mesurer son engagement, puis sa part de responsabilité dans une situation. Egalement de disposer de repères pour identifier un acte commis par l’employeur qui ne relèverait pas de l’exécution de bonne foi du contrat de travail, mais d’un réel dysfonctionnement, voire d’un délit.

Valérie Tarrou

1) Cf. article de janvier 2010 sur ce blog : « A propos du lien de subordination du contrat de travail »
2) Pour plus de détails cf.les fiches pratiques du droit du travail : http://www.travail-solidarite.gouv.fr/spip.php?page=fiche-pratique&id_mot=526&id_rubrique=91

mardi 12 octobre 2010

Sénat : rapport d’information sur le mal-être au travail

La commission des affaires sociales du Sénat a souhaité mieux comprendre les raisons qui ont conduit au suicide des salariés ou des fonctionnaires. Une mission d'information sur le mal-être au travail a été constituée et a organisé des auditions et des tables rondes au cours du premier semestre 2010.

Après avoir établi dans un premier temps un diagnostic de la situation, la commission formule dans un rapport des propositions et recommandations, qui touchent au code du travail, aux méthodes de management, aux acteurs de la prévention des risques professionnels ou encore à la réparation. La mission souhaite que son rapport donne une nouvelle impulsion aux efforts nécessaires pour faire reculer le mal-être au travail et contribue à replacer l'humain au centre des organisations.

Pour télécharger le rapport :
http://www.senat.fr/rap/r09-642-1/r09-642-11.pdf
ou http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-642-1-notice.html

mardi 28 septembre 2010

«Le travail à en perdre la vie»

Une intervention du Dr Brigitte Font Le Bret, psychiatre, parue le 27 septembre 2010 dans l’Humanité.
« Cet écrit est un appel au secours contre le déni à reconnaître que certaines formes d’organisation du travail rendent de plus en plus malade et tuent de plus en plus. Depuis plus de vingt ans, je reçois des salariés de France Télécom, et je mesure l’aggravation des symptômes qui me sont livrés dans l’intimité de mes consultations… »
Pour lire la suite de l’article :
http://www.humanite.fr/26_09_2010-le-travail-%E2%80%A8%C3%A0-en-perdre-la-vie%E2%80%A6-454239

samedi 18 septembre 2010

Au travail l’addiction est salée

Penser le travail comme une dépendance pose la question de la frontière entre s’investir fortement pour un travail aimé, choisi, qui peut relever de la passion, et donner excessivement, en durée et en quantité au regard des normes du métier, au point de ne plus savoir ou pouvoir s’arrêter.

L’hyperactivité peut témoigner de conflits intrapsychiques, avec ou sans troubles de la personnalité, comme d’une lutte contre des conditions de travail exigeant des efforts considérables pour produire dans un environnement de plus en plus contraignant. Quelle que soit sa source, cet engagement croissant et durable s’accompagne de la perte du plaisir au travail (1) et de l’anéantissement du processus de sublimation.

Cette forme de rapport subjectif au travail est désignée par le terme ergomanie (obsession du travail), les chercheurs américains emploient workaholism depuis que Wayne Oates (2) a inventé le mot par analogie avec alcoholism. La psychiatre Marie-Pierre Guiho-Bailly (3) parle d’addiction au travail.

Elle la définit comme la relation pathologique d’un sujet à son travail caractérisée par une compulsion à lui consacrer de plus en plus de temps et d'énergie et ce, en dépit des conséquences négatives sur sa vie personnelle, affective, familiale, sociale et des effets délétères sur sa santé.

Cette dépendance appelle l’auto-accélération, cesser de trop agir devient impossible, les tentatives d’arrêt échouent. Le workaholique a besoin de tout contrôler, il veut être plus que parfait et appréhende les loisirs. Incapable de se relaxer, une interruption forcée du travail (week-end, accident…) génère en lui une forte angoisse et un manque authentique accompagné de malaises physiques et/ou psychiques.

Cette addiction sans drogue est non seulement légale mais socialement valorisée et tolérée par l’entourage… jusqu’aux stades des complications. Heures supplémentaires, repas écourtés, travail rapporté à la maison, vacances perturbés entraînent l’apparition de difficultés dans la vie familiale et sociale.

Quand l’énergie déployée s’amenuise pour laisser place à l’irritabilité et au stress, apparaissent des troubles psychosomatiques : troubles du sommeil, lombalgies, hypertension artérielle, céphalées persistantes, problèmes cardio-vasculaires… Le burn-out, fatigue et épuisement physique et psychique extrême, représentant le syndrome majeur de cette addiction.

L’autodiagnostic de dépendance au travail peut être facilité par le recours au WART (Work Addiction Risk Test) élaboré par Bryan Robinson en 1989. Le lien suivant en permet une passation, il en existe de nombreux autres:
http://www.doctissimo.fr/test-psychologie-TRAVAIL_ADDICTION.htm

La prise en charge de cette souffrance implique le médecin et le psychologue du travail pour un suivi spécialisé. La démarche psychothérapeutique aidera le sujet à évoluer d’une perception faussement positive de ses actes vers la compréhension et l’acceptation du caractère pathologique de son comportement. Afin qu’il désire rompre avec son addiction et amorcer un changement pour échapper au « fléau des années 2000 ».

Valérie Tarrou

1) « Plaisir et souffrance dans le travail ». Ouvrage collectif sous la direction de Christophe Dejours (1988). Orsay.
2) Oates, W (1971). « Confessions of a Workaholic ». New York : World Publishing.
3) Guiho-Bailly, M.-P., Goguet, K. (2004). « L’addiction au travail en psychiatrie quotidienne ». Revue Travailler n°11. Martin Media.

jeudi 9 septembre 2010

Pénibilité : « Un faux débat »

Propos de Marie Pezé recueillis par Simon Barthélémy du Journal l’Alsace – 09-sept-10 (1)
Marie Pezé, vous êtes psychologue, fondatrice de la première consultation Souffrance et Travail à l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre, et auteur de «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» (Pearson, 2008). Nicolas Sarkozy propose que les personnes atteintes d’un taux d’incapacité de 10 %, et non plus de 20 %, puissent avoir droit à la retraite à 60 ans. Qu’en pensez-vous ?

20 %, cela n’avait pas l’air énorme, mais c’est un taux presque jamais atteint : comme si on devenait sourd, ou amputé des deux mains. Une main abîmée, c’est 5 % d’invalidité, or la main est l’organe du travail par excellence… Le problème, c’est que ces débats sur l’invalidité et la pénibilité se réfèrent aux tableaux des maladies professionnelles reconnues. Mais ceux-ci ne rendent pas compte de toutes les pathologies liées au travail physiques ou psychiques. Le « burn-out » (dépression liée au surmenage) ou certains troubles musculo-squelettiques n’y figurent pas, par exemple.
Une grande partie des souffrances liées au travail ne sont pas imputées à son organisation et aux employeurs, et sont donc à la charge de la Sécurité sociale, donc de toute la collectivité. Les traiter individuellement, dans le secret des cabinets médicaux, permet de les dissimuler.

Les syndicats souhaitent au contraire une reconnaissance collective de la pénibilité…

Les statistiques montrent que les ouvriers meurent plus tôt que les cadres, et qu’ils profitent donc moins de leur retraite. Certains métiers provoquent une usure rapide de l’organisme.
En même temps, nous sommes tous bombardés de mails et soumis à des milliards de sollicitations, la secrétaire comme le téléopérateur, et on observe de nouvelles pathologies liées à l’organisation du travail.
Se demander quels métiers doivent être déclarés pénibles, c’est un faux débat, qui noie sous des mots vagues la vraie question sur ce management pathogène. Les salariés français sont parmi les plus productifs au monde (3e), car il leur faut travailler vite, et en 35 heures. Ils arrivent à tenir, car ils sont aussi par ailleurs les plus gros consommateurs d’antidépresseurs, de psychotropes et d’arrêts maladie. Les troubles musculo-squelettiques se multiplient et coûtent très cher. En parler après le déclenchement de la maladie révèle notre incapacité à discuter d’une véritable prévention.

Comment procéder ?

Les commissions parlementaires ont toutes conseillé les mêmes choses : libérer la médecine du travail de son lien avec l’entreprise, et créer des cellules régionales pouvant aller sur le terrain, dans les PME qui n’ont pas toutes les moyens d’avoir leurs services médicaux.
Le débat sur les retraites est à replacer sur ces questions : en quoi le management crée-t-il des pathologies ? Comment faire pour qu’elles coûtent moins cher et n’empêchent pas les gens de s’épanouir dans leur travail ? Si c’était le cas, cela ne les dérangerait pas de travailler un peu plus longtemps.

(1)
http://www.lalsace.fr/fr/france-monde/article/3746956,218/Penibilite-Un-faux-debat.html

lundi 26 juillet 2010

Une consultation Souffrance et Travail : qu’est ce que c’est ?

« La souffrance au travail surgit quant le sujet se heurte à des obstacles insurmontables après avoir épuisé toutes ses ressources pour améliorer la situation réelle de son travail. » explique Marie Pezé, créatrice du réseau des consultations Souffrance et Travail (http://www.karlotta.com/set.swf).

Une consultation Souffrance et Travail prend en charge la souffrance psychique, et par des entretiens à visée clinique, aide le salarié à mettre en mots le traumatisme subi dans son activité professionnelle, à exprimer ses troubles psychopathologiques, et à retrouver du sens aux événements en replaçant le travail au centre de la problématique.L’analyse du dysfonctionnement vécu vise la compréhension de la situation et sa signification au regard des valeurs du salarié afin de restaurer santé, confiance en soi, et capacité d’agir par soi-même.

Psychologue du travail, exerçant en cabinet libéral, j’ai suivi cette année le Certificat de spécialisation en psychopathologie du travail créé au Cnam par Marie Pezé et Christophe Dejours. C’est en référence à ma pratique et à cet enseignement que j’avance la définition suivante.

Une consultation Souffrance et Travail engage une prise en charge psychothérapeutique en un lieu où un praticien, formé à la psychologie du travail, reçoit lors de plusieurs entretiens un salarié atteint dans sa santé, tant psychique que physique, du fait de l’exercice de son métier.

Une prise en charge psychothérapeutique : qui peut consister en un soutien psychothérapique centré sur l’analyse de la situation de travail et/ou une psychothérapie d’orientation analytique.

Un lieu aux formes variées, privé ou public : hôpital, institution, association, cabinet, centre de santé….

Un praticien : docteur en psychologie, psychologue clinicien, psychologue du travail, psychanalyste, psychosociologue, médecin du travail… A partir d’une approche théorique commune : psychopathologie du travail, psychodynamique, psychanalyse et médecine du travail, la méthodologie de la consultation sera colorée par la formation initiale du thérapeute qui inscrit sa pratique singulière dans un réseau de consultations.

Une formation en psychologie du travail, à la clinique du travail, en droit social, et plus spécialement à la psychopathologie du travail. Une consultation Souffrance et Travail s’appuie sur la théorie de la centralité du travail dans la construction identitaire du sujet.

Des entretiens thérapeutiques, individuels, confidentiels, à niveaux multiples : écoute du sujet, de sa parole, de son récit, de sa structure psychique, du mode d’organisation du travail vécu, de ses valeurs, de son mode de décompensation.

Un salarié : tous niveaux hiérarchiques confondus, dans la pluralité des métiers existants, rattaché à son entreprise par un contrat de travail impliquant un lien de subordination juridique.

Une atteinte à la santé tant psychique que physique : une dégradation psychique s’accompagne de signes physiques : anxiété, troubles du sommeil, retrait social, difficultés relationnelles jusque dans la sphère familiale, développement d’addictions, sans oublier la fatigue qui peut être le signe précurseur d’une dépression.

L’exercice d’un métier ne se vit jamais seul : il est réalisé avec des collègues, une hiérarchie, des clients, des techniques de travail, des objectifs, des performances, des évaluations, et s’accompagne de la mouvance constante de ces éléments et de la nécessité de s’y adapter.

Ces composantes multiples génèrent des consultations Souffrance et Travail différentes même si les acteurs de ce champ professionnel sont unis par une éthique et des règles de métier partagées. Cette présentation nécessiterait de nombreux développements, théoriques et cliniques, pour commencer à en restituer la réalité. Pour s’en approcher, ouvrons la porte de la consultation de Marie Pezé en lisant le journal qu’elle a tenu de 1997 à 2008 (1).

Valérie Tarrou

1) Pezé, M. (2008) « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ». Paris : Pearson.

vendredi 23 juillet 2010

Marie Pezé : les causes de son licenciement

En appui de l’article ci-dessous « Nanterre : une consultation en souffrance » annonçant la disparition de la consultation Souffrance et Travail de Marie Pezé au Cash de Nanterre, le site Rue 89 détaille les causes qui ont abouti à la procédure de licenciement de Marie Pezé pour inaptitude physique.

« Avec son livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés », la psychologue Marie Pezé a contribué à rendre public le problème de la souffrance au travail.
C'est du passé : sa consultation est condamnée depuis qu'elle a reçu, mardi, une lettre de licenciement après des années de bras de fer avec la direction de l'hôpital qui l'employait.
Son histoire est d'une ironie confondante : alors qu'elle reçoit des salariés en souffrance au Centre d'accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre (Hauts-de-Seine), Marie Pezé est licenciée après avoir tenté, en vain, d'obtenir des aménagements de son poste de travail, qui la faisait souffrir
. »

Pour lire la suite de l’article :
http://www.rue89.com/confidentiels/2010/07/22/lexperte-de-la-souffrance-au-travail-discriminee-puis-viree-159499

Le Monde publie également un article sur la situation professionnelle de Marie Pezé :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/07/24/marie-peze-l-experte-de-la-maltraitance-au-travail-a-ete-licenciee-pour-inaptitude-definitive_1391805_3234.html

Valérie Tarrou

jeudi 8 juillet 2010

Nanterre : une consultation en souffrance

La consultation Souffrance et Travail créée à Nanterre par Marie Pezé est sur le point de disparaître.


Marie Pezé. Photo : Serge Cannasse (DR).

Docteur en psychologie, psychanalyste, psychosomaticienne, expert judicaire, Marie Pezé dirige, depuis 1997, la consultation Souffrance et Travail qu’elle a créée au Centre d’accueil et de soins hospitaliers (Cash) de l’hôpital de Nanterre (92). Elle y accueille environ 900 patients par an.

De ces entretiens est né en 2008 le livre : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés - Journal de la consultation “Souffrance et Travail” 1997-2008 » (Ed Pearson).

Cette consultation, emblématique car la première en son genre, va cesser. Mais ni l’activité ni l’implication de Marie Pezé dans le champ de la souffrance au travail ne s’arrêtent.

Marie Pezé va continuer à élargir le réseau des consultations Souffrance et Travail et à former des cliniciens du travail spécialisés dans la prise en charge de la souffrance psychique.

Le cadre de cette action est le Certificat de spécialisation en psychopathologie du travail, au Cnam Paris. Marie Pezé en est la fondatrice avec Christophe Dejours, elle assure la responsabilité pédagogique de cette formation pluridisciplinaire. La troisième session est bouclée pour octobre 2010 :
http://www.cnam.fr/psychanalyse/enseignement/programme/CERTIFSPE%20programme.pdf

Pionnière pour écouter, comprendre et soigner la souffrance des salariés, Marie Pezé maintient son engagement pour que le travail puisse être vécu comme développement de soi et qu’il ne génère pas de décompensation psychopathologique.

Valérie Tarrou

lundi 28 juin 2010

Lancement de l'Institut du travail et du management durable

Cet institut se donne pour mission « de promouvoir des formes de management intégrant pleinement les dimensions sociales, économiques et environnementales dans la durée ».
Lancé le 10 juin, il est créé par l’Association pour l'échange et l'amélioration des pratiques de conseil (Aprat) et Yves Clot (directeur du Centre de recherche sur la psychologie du travail et des organisations) qui y occupe les fonctions de président du Conseil d'orientation. Ce nouvel organisme se veut rassembleur de dirigeants d'entreprise, chercheurs, partenaires sociaux, institutionnels et consultants.

Le site :
http://www.i-tmd.org/, commence à mettre en partage des documents, des vidéos et expose l’objet de l’institut : fédérer trois activités favorisant le management durable du travail : la R&D sur la base d'expérimentation et de capitalisation des expériences de terrain ; la formation de consultants, d'intervenants internes en entreprises ou de managers ; et la promotion médiatique.

L’ITMD a donc choisi de penser le concept de durabilité dans champ de la performance des entreprises, et le concept de développement au regard du sujet. Le lien de subordination en serait-il changer au profit d’une réciprocité ? La durabilité des unes favorisant le développement des autres ? Le développement des salariés assurant la pérennité des organisations de travail ?

Valérie Tarrou

mardi 22 juin 2010

Qui sont les IPRP ?

La fonction d’IPRP est une innovation issue du décret du 24 juin 2003 qui s’inscrit dans le cadre de la réforme de structure de la médecine du travail.

L’IPRP est un Intervenant en Prévention des Risques Professionnels. Personne physique ou morale, il est doté de compétences soit techniques, soit organisationnelles, soit médicales (hors médecine du travail).

Sous la dénomination d’IPRP se retrouvent différents métiers (ingénieur qualité, psychologue du travail, technicien en métrologie…) ainsi qu'un certain nombre de spécialisations. Comme en témoigne le schéma, ci-dessous, des différents domaines d’intervention des IPRP.

















La mission des IPRP consiste à participer à la prévention des risques professionnels et à l'amélioration des conditions de travail, soit en complément de l'action conduite par le médecin dans un service de santé au travail, soit à la demande directe d’un employeur.

Ce dernier étant tenu à une obligation de résultat dans la prévention des risques au travail, il peut recourir à l’intervention d’un IPRP pour évaluer les risques, renseigner le document unique et mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires à la santé physique et mentale des employés au cours de leur travail.

Etre IPRP dans un centre de santé au travail ou en intervention en entreprise, suppose d’y être habilité. Cette habilitation est délivrée par un collège composé de représentants de la CRAM, de l'OPPBTP et de l'ARACT. Pour l’obtenir, un dossier de demande doit être envoyé à l’un de ces organismes en fonction de son lieu de résidence : lettre de motivation, CV détaillé… Contenu d'un dossier pour la CRAMIF :
http://www.cramif.fr/risques-professionnels/iprp-dossier-habilitation-personnes-physiques.asp

Le décret qui fonde ce statut d’IPRP s’appuie sur l’idée de décloisonnement et de complémentarité des compétences, afin que la prévention de la santé au travail ne soit plus être considérée sous un angle purement médical mais sous des aspects pluridisciplinaires : médicaux, techniques et organisationnels. C’est de ce troisième domaine que relèvent l’exercice des psychologues du travail et le champ des risques psychosociaux.

Valérie Tarrou

La liste des personnes habilitées en Ile-de-France est consultable à partir du lien suivant : http://www.cramif.fr/pdf/th2/prev/liste-iprp-18juin2010.pdf

mercredi 2 juin 2010

« Le travail à cœur - Pour en finir avec les risques psychosociaux »

Est paru en mai 2010 aux éditions La Découverte le dernier livre d’Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam et directeur du Centre de recherche sur le travail et le développement.

L’auteur ouvre son essai en précisant : « Il a été rédigé à chaud pendant les quelques mois qui ont suivi la série de suicides au travail “médiatisée” en 2009, laquelle a dramatiquement accompagné une vague de troubles musculo-squelettiques, significative de la montée structurelle des pathologies professionnelles en France. Désormais, une psychopathologie du travail quotidien mêle ses effets à toutes les formes de psychopathologie sociale nourries par le chômage de masse et la précarité. C'est cette conjoncture qui m'a décidé à écrire cet ouvrage à partir d'une idée assez simple : les questions du travail sont, de fait, le “refoulé” de la société française. »

Pour penser le travail avec Yves Clot, suivre le lien de son intervention sur France Culture dans l’émission la Fabrique de l’humain :
http://www.franceculture.com/emission-la-fabrique-de-l-humain-travailler-mieux-ou-travailler-plus-2010-05-20.html

dimanche 30 mai 2010

Harcèlement moral : les « agissements répétés » peuvent se produire en un temps très bref

Le premier point caractérisant juridiquement le harcèlement moral (1) est son caractère systématique et répétitif. Le second point est l’intentionnalité de la démarche persécutrice. La théorisation initiale (2) de ces actes de maltraitance les inscrivait dans une certaine durée.
Mais si le code du travail précise que le harcèlement moral se manifeste par « des agissements répétés » il n’exige aucune condition de durée.
Ce point de droit vient d’être renforcé par une décision de la Cour de cassation en date du 26 mai 2010.

L’article du Monde du 28-05-10 (3) rapporte que « Quelques jours, voire quelques heures, suffisent à créer le harcèlement moral d'un salarié. Selon les magistrats de la Cour, ce harcèlement peut naître sur une "brève période", même si la loi exige des "agissements répétés". La justice donne ainsi gain de cause à un salarié qui, quelques jours après un retour de congé de maladie, s'était estimé harcelé par son patron qui l'avait maltraité, mis à l'écart, rétrogradé, dénigré et déchu de quelques responsabilités antérieures.

Les prud'hommes avaient d'abord rejeté l'idée d'un harcèlement, tous ces griefs étant formulés après seulement quelques jours de travail et principalement après un entretien unique qui fixait les nouvelles attributions de l'employé. Or, rappelaient-ils, la loi interdit "les agissements répétés" de nature à porter atteinte à ses droits, à sa dignité, à sa santé ou à sa carrière. Ce qui, selon les juges, supposait une certaine durée, une continuité dans les mauvaises relations.

Mais pour la Cour de cassation, ce raisonnement logique ajoute une exigence que la loi ne prévoit pas : les "agissements répétés" peuvent se produire en un temps très bref et altérer la santé du salarié, justifiant la rupture du contrat aux torts de l'employeur. »

La preuve d’un harcèlement moral n’en reste pas moins difficile à apporter auprès d’un tribunal. Se référer à l’article 1134 du code civil qui porte sur l’effet des obligations contractuelles et invoquer une exécution de mauvaise foi du contrat de travail peut s’avérer une voie juridique plus facile à expliquer et à démontrer pour faire sanctionner un employeur responsable de conduites abusives.

Valérie Tarrou

1) Voir article du blog au 23 novembre 209.
2) Hirigoyen, M.-F. (2001). « Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle – Démêler le vrai du faux ». Paris : La Découverte.
3)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/05/28/quelques-heures-suffisent-au-harcelement-moral-selon-la-cour-de-cassation_1364302_3224.html#xtor=AL-32280340

jeudi 27 mai 2010

Lire le rapport final de Technologia sur France Télécom

Le cabinet Technologia a été mandaté en septembre 2009 par France Télécom pour mener à bien l’étiologie de la souffrance vécue par les salariés, pour procéder à l’évaluation des risques psychosociaux, et pour proposer un plan de prévention et d'actions visant à mettre fin à cette situation de crise.

Les premiers résultats de l'enquête menée auprès de 102 000 salariés de France Télécom ont été rendus fin 2009. Vendredi 21 mai 2010 Technologia a restitué son rapport final sur la situation du groupe.

Confidentiel, ce document est proposé en lecture sur le site du syndicat Sud PTT :
http://www.sudptt.org/article.php3?id_article=99404.

En 7 chapitres et 1000 pages, le rapport détaille les profondes mutations intervenues depuis la réglementation du marché des télécommunications et, selon Sud PTT, « sonne comme un véritable réquisitoire » contre l’évolution d’un management historiquement ancré dans la compétence technique vers un management gestionnaire.

Valérie Tarrou

mardi 18 mai 2010

La mètis, intelligence du corps

Intelligence rusée, intelligence pratique, mais également sagesse, prudence, conseil, sont personnifiés par la déesse grecque Mètis.

Mètis possédait le don de la métamorphose qu’elle utilisa pour échapper un temps au désir de Zeus. Devenue sa première femme, Mètis est enceinte de la future déesse Athéna. Un oracle avertit Zeus que si Métis enfantait à nouveau, il s’agirait d’un fils qui le détrônerait de la même manière qu’il avait détrôné Cronos et que Cronos avait détrôné Ouranos. Pour éviter la poursuite de cette tradition familiale, Zeus convainc Mètis de se transformer en goutte d’eau et l’avale. C’est après l’incorporation de Mètis et de ses pouvoirs, dont il saura faire usage en se métamorphosant en cygne, taureau, pluie d’or…, que Zeus devint le roi des dieux.

Forme d’intelligence pratique, parfois proche de la combine, la mètis qui s’enracine dans le corps (1) est une notion moins noble que la sophia, sagesse qui s’appuie sur une connaissance de soi et du monde et s’accompagne d’un bonheur suprême, ou la phronèsis, sagesse prudente, habileté vertueuse et rationnelle.

Dans le contexte professionnel, la mètis, telle que la pense la psychodynamique du travail, est inséparable de la notion « d’habileté professionnelle ou de métier » (2). Elle désigne une capacité à s’adapter à une situation, à trouver une solution, en accordant dans un contexte de prise de risques le primat au succès et non à l’éthique.

Mobiliser son intelligence rusée pour palier le décalage entre la prescription et l’activité réelle à un caractère transgressif et, exercée isolement, cette attitude devient source de souffrance. Mais quand cette mise en jeu de son corps emporte la reconnaissance collective de l’utilité d’une telle pratique alors, s’allient plaisir et ingéniosité.

L’emploi de la mètis qui s’oppose au recours à la force est dérangeant car il appartient à tous, hommes, femmes, animaux, dieux…, c’est une intelligence transversale à toutes les classes sociales. Ulysse, Pénélope, Shéhérazade, le Petit Poucet, le renard, ainsi que de nombreux personnages de contes populaires sont des héros à la mètis qui par ingéniosité ont sauvé leurs vies.

La mètis ne relève pas du diplôme mais du métier, cette intelligence pratique est toujours située dans une action. La cognition seule ne suffit pas pour travailler, bien que valorisée, déjà par Platon, l’intelligence logico-déductive doit être combiner sans cesse à l’intelligence du corps.

Si la mètis facilite le travail, elle développe des conduites qui à l’observation peuvent sembler absurdes et illégitimes. La théorisation de la mètis par la psychodynamique du travail favorise l’interprétation de comportements par ailleurs difficiles à élucider, de situations insolites qui permettent de mieux faire son travail en répondant à plusieurs rationalités.

Valérie Tarrou
1) Dejours, C. (2009). « Travail vivant - 1 : Sexualité et travail ». Payot : Paris. P. 29 à 31.
2) Molinier, P. (2006). « Les Enjeux psychiques du travail ». Payot : Paris. P. 90 à 102.

mardi 4 mai 2010

Pour écouter Christophe Dejours sur France Culture

Christophe Dejours, psychanalyste, psychiatre, clinicien du travail, invité de l’émission «A voix nue» sur France culture du 3 au 7 mai 2010. Au programme, Lundi : Les années de formation. Mardi : La clinique du travail. Mercredi : Le corps dans tous ses états. Jeudi : La souffrance au travail. Vendredi : Les voies de l’émancipation.

lundi 26 avril 2010

Le paradoxe du réel du travail

Si travailler peut être source de souffrances, l’activité professionnelle peut également être à l’origine de plaisirs. Une même situation de travail a pu procurer de la joie avant d’évoluer vers le mal-être.

Le plaisir procuré par l’exercice de son métier s’enracine à la fois dans la réalisation d’une production ou d’un service de qualité et dans l’accomplissement qu’il permet de soi-même. Ainsi se forment les « habiletés professionnelles » (1) dans la rencontre de la subjectivité du salarié, de son objet de travail et de ses relations aux autres.

Ce point de confrontation entre soi-travail-autrui en psychologie du travail s’appelle le réel du travail. Au sein du travail effectivement réalisé, il correspond aux questionnements soulevés par des situations inattendues, aux inventions à trouver pour y répondre. Ce travail là se vit sur le mode affectif, c’est le travail tel qu’il est ressenti, vécu, souffert, à travers le monde réel qui résiste.

Il est à penser en opposition avec le travail prescrit celui de l'organisation, auquel correspondent l'aptitude et le diplôme. A cette approche théorique, le réel du travail consiste en tout ce que chacun doit ajouter sans quoi rien ne fonctionnerait.

Christophe Dejours explique que s’en tenir aux « ordres, dans une obéissance absolue, cela s’appelle la “grève du zèle” » (1) et débouche sur un dysfonctionnement complet. Il s’interroge sur la nature de ce zèle, indispensable et pourtant généralement méconnu par les gestionnaires, et rappelle que le réel du travail, cet « écart entre le prescrit et l’effectif n’est jamais définitivement comblé ».

Le réel du travail s’inscrit dans un paradoxe : indispensable à la réalisation de l’activité, il n’est pas acquis et son retour imprévu est pourtant à la fois source d’inconfort et de développement. Sans cette confrontation parfois douloureuse, ou même angoissante, voire décourageante, le sujet ne chercherait pas à trouver une réponse, à inventer un geste, à créer une nouvelle façon de faire.

Si le réel du travail sollicite les connaissances, il suppose, et peut-être même exige, de la part de tous le recours à une intelligence particulière, une « intelligence qui découvre, une intelligence qui invente ; peut-être même faut-il parfois une intelligence créatrice ». (1)

Christophe Dejours précise toute fois que le zèle est à la fois recours à cette forme d’intelligence du corps et volonté, et désir, de la mettre en action. Cette intelligence dite rusée est nommée « métis » en psychodynamique du travail, en référence à la déesse grecque Métis (2).

Le réel peut intervenir dans des situations absurdes ou cruelles, mais c’est dans cette résistance du monde réel que le sujet se sent exister, se sent vivant. Ainsi est ce dans ce rapport que le corps fait simultanément l’expérience du monde et de soi.

Valérie Tarrou

1) Dejours, C. (2009). Travail vivant – 1 : Sexualité et travail ». Paris : Payot.
2) « Métis, l’intelligence du corps » : article à venir.

mardi 20 avril 2010

Le blog accueille le premier article de l’un de ses membres : "Les dilemmes de la subjectivation du travail, une urgence sociétale"

Faire du bon boulot et être reconnu pour sa contribution professionnelle sont depuis toujours les attentes légitimes des travailleurs.
Mais ils sont aujourd'hui intriqués dans un filet d'injonctions paradoxales dont le centre de gravité pourrait être : comment s'inscrire subjectivement dans ses actes de travail alors que l'engagement de soi requis par l'intensification managériale rend impossible la remise en question (individuelle et collective) des prescriptions ? Il faut faire, toujours plus et toujours mieux et plus vite.

L'être et le faire du sujet sont de fait contaminés dans tous les registres du quotidien. L'action n'a alors plus de sens existentiel car il n'y a plus, pour celui qui travaille, de satisfaction dans l'agir (le faire un bon boulot).

Le management est à l'affut de l'erreur dans le plan de vol qu’il a fixé, et dans le déni de la souffrance du sujet. Et le travailleur ne peut plus faire face, ce n'est plus la tâche qui lui est impossible mais lui qui est impuissant. Il ne peut plus faire l'expérience de l'échec et de sa tentative de résolution, ce qu'il fait devient insignifiant au regard de l'étayage corporel et relationnel de son identité. C'est ce qui est pour moi profondément pathogène.

Le travailleur ne se soumet pas, il est dédoublé énonce le philosophe Eric Hamraoui (Cf. 2010 Travail et santé. Paris : Erès. p101-114 ; Entreprise & Carrières n°995, p30-31) reprenant les travaux du philosophe Sidi Mohammed Barkat. C'est-à-dire que le sujet est à la fois celui qui est valorisé pour s’engager, pour faire face au quotidien ; quotidien de production qui se révèle être un puits sans fond où il consume ses forces et son énergie. La situation n’en n’est pas moins lourde pour le sujet.

Comment faire en effet pour tenter de digérer la confusion intime et institutionnelle entre l’action éthique et l’agitation prescrite ? Comment s’intérioriser responsable d’actes qui n’ont alors pas de sens dans sa propre histoire ? Le prix à payer par le travailleur est très onéreux pour sa santé physique et psychique, il y risque sa vie. Alors il n’est que temps de travailler, de constituer des groupes complémentaires de professionnels pour agir à préserver sinon à restaurer la santé des hommes, notre santé à tous, et le travail.

Danielle Daguisé – Psychologue du travail

mercredi 7 avril 2010

Souffrance ET travail

L'article de Philippe Zarifian paru ce jour dans Le Monde sous le titre « La Performance sociale : une aberration dangereuse » (1) souligne une nuance significative.

Comme l’écrit l’auteur, l’emploi des termes « souffrance AU travail » évoque une certaine réalité du sujet et fait « de l'individu au travail un être passif, soumis aux affections externes, écrasé, impuissant, triste, malheureux »(1).

Parler de « souffrance ET travail », ainsi que s’intitule le réseau de consultations spécialisées dans la prise en charge de cette souffrance (2), comme la consultation de Marie Pezé à Nanterrre, remet le travail au centre. Au centre du vécu du salarié, au centre de la réflexion sur l’organisation du travail, et au centre de la démarche thérapeutique.

Une double exigence s’impose : soigner le salarié malade du travail et soigner le travail, afin de ne pas aboutir à la « négation du travail réellement effectué, de ses succès comme de ses difficultés, de ses conditions de réussite pour réaliser “du beau travail” ».(1)

Ne pas pouvoir faire un « beau travail » rend « littéralement les gens malades, car la contrainte d'accomplir un travail qui n'est pas exécuté dans les règles de l'art est une vraie souffrance » (3), et « toutes les enquêtes convergent pour montrer nettement que la France a une culture particulière du “travail bien fait”. (3)

Les négociations nationales entre patronat et syndicats sur le traitement du « harcèlement et de la violence au travail » (4), en reconnaissant la responsabilité du mode de management dans les manifestations de souffrance au travail peuvent être considérées comme une ouverture pour que « l'entreprise ne soit plus seulement un tissu de relations personnelles dégradées, mais redevienne un lieu où accomplir un travail dans lequel on se reconnaît » (3).

Valérie Tarrou

1)
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2010/04/06/la-performance-sociale-une-aberration-dangereuse_1329262_3232.html
2) http://www.karlotta.com/set.swf
3) Yves Clot, extrait de l’article « Le travail traverse une crise de sens » :
http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_dossier_web=28&id_article=24962
4) Cf. article du blog au 26 mars.

vendredi 26 mars 2010

Actualité : Une avancée dans la reconnaissance de l’impact du «mode de management» sur la violence et la souffrance au travail

Après 6 mois de négociations, patronat et syndicats sont parvenus à un accord reconnaissant la responsabilité du mode de management d’une entreprise dans le harcèlement, la violence et la souffrance au travail.
La reconnaissance n’est pas un gage de bonheur, mais quand elle est inexistante, les efforts, les doutes, les découragements ne peuvent plus trouver de sens.
Ci-dessous l’article du Monde du 26 mars 2010.

"Harcèlement au travail : le patronat reconnaît la responsabilité du management"

"Patronat et syndicats ont trouvé, vendredi 26 mars, un accord sur le harcèlement et la violence au travail. Au bout de six mois de négociations, les entreprises ont finalement accepté de reconnaître que le mode de management ou de fonctionnement pouvait être responsable de ces phénomènes.
Les partenaires sociaux, qui se sont retrouvés vendredi pour une huitième séance à Paris, ont finalisé un texte permettant de "mieux prévenir ces agissements, les réduire et si possible les éliminer". Ils divergeaient jusqu'à présent sur un point majeur : les syndicats (CGT, CFDT, CFTC, FO, CFE-CGC) souhaitaient que soit inscrit dans l'accord que "certaines formes d'organisations du travail et de gestion du personnel provoquent par elles-mêmes de la violence et du harcèlement". Au final, le texte ne parle pas d'organisation du travail, mais de mode de management et de mode de fonctionnement de l'entreprise, deux formules qui semblent satisfaire les syndicats.

Définitions. Selon les termes de l'accord, le harcèlement survient "lorsqu'un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et/ou d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail". La violence "va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire", "de l'incivilité à l'agression physique" et peut prendre la forme "d'agressions verbales, comportementales, notamment sexistes, d'agressions physiques". Il est précisé que "les phénomènes de stress" qui "découlent de facteurs tenant à l'organisation du travail, l'environnement de travail ou une mauvaise communication dans l'entreprise" peuvent aussi entraîner un harcèlement et de la violence au travail.

Prévention. L'employeur doit "manifester une vigilance accrue à l'apparition de certains indicateurs", comme "des conflits personnels répétés" ou "des plaintes fréquentes de la part de salariés". Mais la prévention passe aussi par "une meilleure sensibilisation et une formation adéquate des responsables hiérarchiques et des salariés", ainsi que par "des mesures visant à améliorer l'organisation, les processus, les conditions et l'environnement de travail".

Actions. En cas de harcèlement ou de violence au travail, l'entreprise examinera "l'ensemble des éléments de l'environnement de travail", comme les "comportements individuels, le modes de management, la relation avec la clientèle, mode de fonctionnement de l'entreprise, etc.". Les salariés harcelés ou agressés doivent faire l'objet d'un accompagnement (soutien médical, psychologique, aide à la réinsertion, voire accompagnement juridique)."

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/03/26/harcelement-au-travail-le-patronat-reconnait-la-responsabilite-du-management_1325002_3224.html

jeudi 25 mars 2010

Taylorisme et néo-taylorisme. Les « nouvelles » formes d’organisation du travail

« Nouveau » management ? « Nouvelles » formes d’organisation du travail ? Par rapport à quoi ? Avec quels « nouveaux » effets sur la santé ?

Comme l’indique l’article du journal La Croix (1), le changement se mesure à l’aune de l’organisation taylorienne du travail. Mode d’organisation du travail né aux Etats-Unis, le taylorisme est progressivement installé en France de 1910 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il connut son essor dans les années 50 et 60.
Le taylorisme est issu de la volonté de séparer la pensée et le geste dans l’objectif d’augmenter la vitesse de travail. Les connaissances et les compétences détenues par les ouvriers de métier sont alors considérées comme un obstacle au développement de la productivité. Désincarné, transformé en ‘bonnes pratiques’ par un bureau des méthodes, ce savoir devenu standardisé et chronométré est imposé à des ouvriers non formés, sans respect ni de leur personne ni de leur santé.

Les modèles émergents de productivité remplacent-ils le taylorisme ou s’y ajoutent-ils ? Quelles modifications apportent-ils aux conditions de travail ? Génèrent-ils des formes spécifiques de souffrance ? Une réflexion à partir de trois points.

- Accroître la productivité passe maintenant par une flexibilité de la production et donc une flexibilité du temps de travail des salariés. Des mots comme polyvalence, rotation, travail partiel, annualisé, à domicile, sont devenus familiers. Se rappelle-t-on depuis combien de temps ils appartiennent au vocabulaire du travail ? Pas plus d’une vingtaine d’années. Et pourtant la flexibilité quantitative (temps) et qualitative (compétences) constitue un mode de gestion du personnel.

- La standardisation de la qualité de la production, magnifiée par la logique de certification, de normes, de labels…, et présentée comme une garantie de qualité, ne peut-elle être entendue comme une nouvelle étape dans l’appauvrissement du geste de métier ? Cette quête de la qualité dite totale fige le geste de travail, ne laissant plus d’espace autorisé ni à la créativité de chacun, ni à l’élaboration du beau geste de métier. Les critères de qualité pour fabriquer un objet ou pour fournir un service ne relèvent plus d’un collectif de travail et ne peuvent donc plus être source de la reconnaissance de ses pairs.

- L’effacement du rôle des collectifs de travail est renforcé par l’individualisation des objectifs de performance, des entretiens d’évaluation, de la rémunération. Egalement par une prescription individuelle de l’autonomie, « Soyez responsable », dont le contrôle par l’informatique devient abstrait, invisible et psychiquement omniprésent.

Ces trois points, flexibilité, standardisation de la qualité et autonomie, semblent à priori l’antithèse du taylorisme. Ils réintroduisent, voire prescrivent, la pensée individuelle dans un geste de travail présenté comme destiné à produire un travail satisfaisant tant pour le salarié que pour le client final.
Ces nouvelles données du travail s’inscrivent pourtant dans la perspective avouée, et valorisée, d’une productivité toujours en augmentation, bien que s’accompagnant d’une réduction officielle du temps de travail.

Le doute s’insinue alors. Ces modifications apportées aux conditions de travail contribuent-elles vraiment au développement du sujet ?
- La flexibilité du temps de travail ne trouve-t-elle pas son corollaire dans la précarité ?
- La mise en œuvre d’une qualité standardisée ne nuit-elle pas à la réalisation d’un travail répondant aux règles de métier, source de satisfaction et de reconnaissance ?
- L’individualisation des performances ne tue-t-elle pas l’entraide ?

Les modifications apportées aux conditions de travail tendent à abîmer le travail lui-même et entraînent d’une part, l’apparition de nouvelles formes de souffrance psychique : états confusionnels, isolement,… et d’autre part, l’augmentation de pathologies existantes : les troubles musculo-squelettiques, les pathologies de surcharge, les états de stress post-traumatiques…

Consentir à faire du sale boulot dégrade les conditions de travail, les solidarités, l’image de soi et produit une souffrance éthique, qui n’est tenable, pour un temps, qu’au prix de sa santé. La souffrance naît d’avoir accepté de faire ce qui nous a été demandé de faire alors qu’on le reprouve. La difficulté actuelle est de supporter la séparation travail et valeurs tant individuelles que collectives.

Valérie Tarrou

1)
http://www.la-croix.com/Associer-les-salaries-pour-stimuler-l-innovation/article/2419206/4079

samedi 13 mars 2010

La « fée du logis » ou le travail invisible

La patiente : « Mon mari gagne plus d’argent que moi, mais c’est normal, il fait plus d’heure de travail que moi. »
Le psy : « Si vous additionnez vos heures de travail à l’extérieur et vos heures de travail à la maison, combien d’heures pensez vous que vous travaillez par jour ? »
La patiente : « Mais à la maison, ce n’est pas du travail ! »
Le psy : « A quelle heure vous levez vous ? »
La patiente : « A 6h30… et je n’arrête pas jusqu’à 21 heures… La maison, les enfants, le travail, les enfants, la maison. Je n’ai jamais 10 secondes pour moi. »

Les tâches « discrètes » (1) historiquement dévolues à la femme dans la maison sont particulièrement difficiles à évaluer. Ce savoir-faire invisible n’est ni formalisé ni reconnu. Son invisibilité n’est pas due au seul déni de ceux qui en bénéficie, ce travail est perçu comme naturel. Naturel de savoir faire face aux contraintes du travail domestique, naturel de savoir prendre en charge les enfants, naturel de surajouter avec discrétion ces responsabilités à l’organisation de son travail et de son temps de femme.

Les tentatives de mise en visibilité de cette activité « qui ne laisse pas de traces » (1) trouvent l’explication de leur échec dans cette absence de tangibilité. Ne laissant pas de traces, elle ne produit pas d’objet en dehors de soi.

Pour penser l’exercice d’un travail relationnel (chez soi ou dans une activité rémunérée) il est pourtant nécessaire de le dénaturaliser et de le faire apparaître. Nécessaire pour se permettre de se retrouver, de donner un sens à sa vie qui réponde à ses propres aspirations et ne pas s’éteindre dans l’effacement de soi.

Le livre de Pascale Molinier, « L’Enigme de la femme active », est à mettre absolument entre les mains de toutes les femmes, mais également de tous les hommes. L’auteure, docteur en psychologie, analyse et enrichit cette réflexion sociale située au cœur de la vie privée comme de la vie professionnelle : compassion et égoïsme, tradition et féminisme, identité masculine et identité féminine, activité créatrice et vie de famille…

Apporter à ses enfants amour et soins, former un couple stable, et répondre à l’exigence de s’accomplir dans d’autres vies, que celle de mère et de compagne, avec le même sérieux, la même intensité, la même souffrance et le même bonheur. Cela se pense et se travaille.

Valérie Tarrou

1) Molinier, P. (2003). « L’Enigme de la femme active- Egoïsme, sexe et compassion ». Paris : Payot

dimanche 28 février 2010

Rouge, orange ou verte : des listes qui n'évaluent toujours pas le travail

Jeudi 18 février 2010 une carte tricolore (rouge, orange, vert) témoignait de la contagion de la passion évaluatrice des entreprises. Le ministère du Travail publiait sur son site la liste mesurant le degré d'engagement des entreprises dans des négociations pour prévenir le stress au travail.

Il s’agissait bien là d’une évaluation individuelle des résultats. Une démarche gestionnaire considérée par les organisations de travail comme allant-de-soi, légitime et source de motivation.

Comment penser, alors, le retrait de la consultation publique, le lendemain même, de la liste rouge (sociétés qui n'ont rien entrepris ou n'ont pas répondu au questionnaire soumis par le ministère) et de la liste orange (entreprises qui ont engagé une ou plusieurs réunions de négociations ou de discussions) ?

Un classement qui présentait les résultats d'une mesure dite phare du plan national d'urgence lancé début octobre par Xavier Darcos suite aux suicides de salariés de France Télécom.

Pourquoi avoir retiré ce bilan ? La circonspection aurait-elle été de mise ? Les entreprises auraient elles argué qu’il n’était donné ainsi à voir que le résultat de leur travail et non la qualité des efforts engagés ? Ni leur intensité ou leur contenu pour initier des négociations sur le stress avant le 1er février ?

Au-delà des conséquences directes que cette évaluation pouvait avoir sur leurs ventes ou leur image, les entreprises auraient-elles ressenti les effets pervers d’une évaluation qui ne tient pas compte du décalage existant entre le travail prescrit et la réalité concrète de la situation de travail ? Auraient-elles compris que le refus de la mise en visibilité du travail réel génère une souffrance psychique et érode l’envie de s’investir.

De ce point de vue, le retrait des listes stigmatisantes favorisera peut-être la mise au travail des entreprises sur la question de la prévention des risques d’atteinte à la santé mentale des salariés.

Les listes restent consultables sur le net. La liste verte (entreprises ayant signé un accord de fond ou de méthode) reste visible sur le site du ministère du Travail qui s'est engagé à publier la mise à jour des listes rouge et orange d'ici deux mois.
http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Les listes rouge et orange continuent de circuler, par exemple :
http://carlanoirci.wordpress.com/2010/02/20/liste-censuree-des-entreprises-listees-en-rouge-pour-un-risque-de-gros-stress/
http://voila-le-travail.fr/2010/02/21/stress-la-liste-rouge-retrouvee/

Que le retrait de ces listes rappelle que l’évaluation des résultats, des compétences ou des performances, « pourtant n’est toujours pas l’évaluation du travail » (1).

Valérie Tarrou

1) Dejours, C. (2003). « L’Evaluation du travail à l’épreuve du réel ». Paris : Inra.

mercredi 24 février 2010

Maladie professionnelle : une obligation de sécurité de résultat pour l’employeur

Le travail doit être adapté à l’homme et non l’inverse. Convoquer cette logique est une nécessité, en particulier pour la prévention des risques psychosociaux en entreprise.

L’employeur est tenu à mettre en œuvre des démarches qui témoignent de l’engagement de l’entreprise à respecter ce principe d’adaptation du travail à l’homme, en particulier par la réalisation et la mise à jour annuelle du document unique (1). Plus récemment, en s’engageant dans le plan d’action d’urgence contre le stress instauré par le ministère du Travail (2).

En cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité civile de l’employeur peut être engagée si la faute inexcusable est reconnue, cela entraînant une réparation du préjudice subi (souffrances morales et physiques, esthétiques…).

En la matière, depuis 2002, s’impose à l’employeur une obligation de sécurité de résultat, et non plus seulement de moyen, dans l’organisation d’actions de prévention des risques psychosociaux. Il lui faut aller plus loin que la norme, donc aussi loin que possible car en la matière il n’y a pas de norme.

La loi et la jurisprudence encadrent cette obligation. Un arrêt de référence de la chambre sociale de la Cour de cassation(n°837) en date du 28 février 2002 adopte une définition de la faute inexcusable :
« Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. »

La responsabilité de l’employeur est donc engagée, pour les maladies professionnelles liées en particulier à l’amiante, pour les accidents du travail liés notamment au risque mécanique ou électrique, ainsi que pour les risques psychosociaux, dont le harcèlement moral est une illustration.

Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Tours vient pourtant de rejeter la «faute inexcusable» d’EDF dans le suicide d’un technicien supérieur travaillant à la centrale nucléaire de Chinon. Alors que le suicide de Dominique Peutevynck a été reconnu comme maladie professionnelle par la CPAM de Tours, puis par ce même tribunal, ce qui établit « un lien direct et essentiel » entre le passage à l’acte du salarié et ses conditions de travail.

Il est précisé dans l’article paru le 23 février 2010 dans l’Express (3) sous le titre « Suicide d'un salarié d'EDF : pas de faute inexcusable de l'employeur » qu’un appel de cette décision a été interjeté. Il sera intéressant de connaître la position qu’adoptera la cour d’appel d’Orléans : le suicide ayant été reconnu maladie professionnelle, sur la base de quels critères (juridiques, organisationnels,…) l’employeur sera-t-il ou ne sera-t-il pas tenu pour responsable de la souffrance ressentie par cet homme dans son rapport au travail ?

Valérie Tarrou

1) Le document unique est la transposition par écrit de l’évaluation des risques professionnels. Il a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 (art. R.4121-1 du code du Travail), il est obligatoire pour toutes les entreprises et associations de plus de un salarié et permet de lister et hiérarchiser les risques pouvant nuire à la sécurité de salarié et de préconiser des actions visant à les réduire voire les supprimer.

2) Plan d’action d’urgence contre le stress : renforcer la prévention des risques professionnels en obligeant les entreprises à des négociations sur l’amélioration des conditions de travail. Le 17 février 2010 le ministère du Travail a publié le classement actuel des entreprises ayant engagées des actions : http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Cf article ci-dessous du 2 février.

3) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/suicide-d-un-salarie-d-edf-pas-de-faute-inexcusable-de-l-employeur_850815.html

vendredi 19 février 2010

Invitée pour des échanges blog-travail sur RFI

Invitée sur RFI à parler de mon blog consacré au travail, c’est en compagnie de Sabine Aumaître (« Blog de Sabine Aumaître ») et d’ Elsa Fayner (blog « Et voilà le travail »), que j’ai répondu aux questions de Ziad Maalouf et de Cédric Kalonji pour l’émission l’Atelier des médias.

L’Atelier des médias sur RFI, 89 FM à Paris, de 11h10-11h30 :
R/Evolutions dans les médias, de 11h33-12h00 : Médias du monde + Les Observateurs de France 24 et de 12h10-12h30 : MondoBlog. La rubrique Mondoblog de cette web-émission participative partage et discute sa veille de la blogosphère francophone.

Diffusion de ces échanges samedi 20 février à 12h10. Pour une écoute en ligne (n°116-4) :
http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/emission-1164-les-blogs-qui

Ces échanges ont questionnés l’origine de ma démarche.
En tant que psychologue du travail, j’inscris principalement mon action dans un champ thérapeutique. Créer ce blog est le moyen de proposer une autre forme d’aide, en présentant des clés de compréhension théoriques des situations de travail.
Comprendre « comment c’est arrivé ? », « pourquoi ça m’est arrivé à moi ? » est une étape qui permet de redonner du sens à l’histoire vécue, de pouvoir la penser sur un mode autre que défensif.
Le travail est un élément majeur de la construction de soi, le travail nous construit.Quand est maltraité le rapport instauré entre soi et le travail, un pilier fondamental de l’identité personnelle est ébranlé.Tout sujet est amené à décompenser quand il est porté atteinte à son rapport subjectif au travail. Seul le mode de décompensation est d’ordre personnel.Il ne s’agit point ici de fragilité individuelle. Plus un sujet est investi dans son travail, se donne et reçoit, plus une rupture induite par des changements d’organisation du travail peut avoir des effets pathogènes.

Parvenir à remettre de l’ordre logique dans une situation douloureuse aide à sortir de la confusion. Ce blog tend à participer à cette quête de sens, dans les situations individuelles, dans l’actualité sociale, par des apports théoriques de psychologie du travail.

Valérie Tarrou

dimanche 14 février 2010

Pour ne pas taire les suicides...

Le travail continue à pousser certains salariés au suicide, pourtant l'écho de ces passages à l'acte semble diminuer. Les difficultés rencontrées par les acteurs sociaux, économiques, politiques, pour répondre activement aux questions « que faire après un suicide ? » et « que transformer dans l'organisation du travail pour prévenir les décompensations ? » généreraient-elles un trouble dans les pensées poussant au silence, là où il serait nécessaire que tout le monde parle ? Dans cette logique, reprise ci-dessous, d'un article du Monde paru vendredi 12 février 2010 : « Deux nouveaux suicides à France Télécom ».
« Deux salariés de France Télécom se sont suicidés ces derniers jours hors de leurs lieux de travail, a annoncé vendredi 12 février la direction, qui ne privilégie ni n'exclut aucune hypothèse quant à un lien éventuel avec le travail."L'entreprise est sous le choc", a déclaré un porte-parole de France Télécom, groupe déjà marqué par une série de suicides de salariés en 2009. "A l'heure qu'il est, on ne peut ni privilégier ni exclure aucune causalité." Ces deux cas portent à cinq le nombre de suicides de salariés depuis début janvier, tous en dehors de leur lieu de travail, d'après le syndicat SUD. La direction les a tous a confirmés.
Le dernier cas est celui d'un salarié âgé de 32 ans, employé à Dijon dans le domaine des services aux entreprises, qui s'est suicidé jeudi soir à son domicile. D'après une source syndicale, il était cadre et, comme 35 % des salariés de France Télécom, sous contrat de droit privé. Après un arrêt longue maladie, il avait repris le travail il y a quelques mois.
Le second est un technicien d'une cinquantaine d'années de la Haute-Normandie, qui s'est donné la mort dans une forêt mardi 9 février. Une enquête de gendarmerie est en cours, a précisé France Télécom. D'après SUD, il avait le statut de fonctionnaire.
Le nombre de suicides de salariés de France Télécom en deux ans (2008 et 2009) s'élevait à trente-cinq au 31 décembre dernier, selon plusieurs syndicats. Le 1er décembre, la direction avait annoncé avoir transmis à l'inspection du travail trente-deux cas de suicides de salariés en deux ans.

"Depuis début janvier cela commence à faire beaucoup, sans compter au moins trois tentatives de suicides, cela rappelle la crise de juillet 2009", a déclaré Patrick Ackermann
, du syndicat SUD, également membre de l'Observatoire
du stress et des mobilités forcées de France Télécom, mis en place par les fédérations syndicales CFE-CGC et SUD de l'entreprise.
De son côté, la CGT, prudente dans l'attente de davantage d'informations sur ces cas, réclame "d'aller plus vite dans les négociations en cours sur l'organisation du travail, qui est pathologique". La CFDT s'est également déclarée "inquiète" tout en précisant qu'elle attendait les résultats des enquêtes.
Pour M. Ackermann, "la tension est très forte dans l'entreprise, d'autant que la direction met du temps à reconnaître que des suicides ont un lien avec le travail". Il fait notamment allusion au suicide d'un salarié fonctionnaire d'Annecy le 28 septembre dernier. Alors qu'une étude commandée par le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) a conclu au lien avec le travail, la direction ne l'a pas encore classé en accident de service. Le comité central d'entreprise de France Télécom a demandé dans une motion il y a quelques jours que cela soit fait très rapidement.
France Télécom a expliqué, de son côté, attendre les conclusions début mars d'un inspecteur général des affaires sociales nommé par le ministre du travail en novembre pour rendre un avis sur la reconnaissance de suicides de fonctionnaires de France Télécom en accident de service. »

mardi 2 février 2010

Lutter contre le stress : démarche collective ou individuelle ?

Ci-dessous un article publié ce 2 février par les Echos abordant les différentes approches de prévention des risques psychosociaux, et en particulier du stress.
"Lutte contre le stress : les entreprises sous pression"
"Les sociétés de plus de 1.000 personnes devaient avoir entamé des négociations sur le stress avant le 1er février. Mais le choix des armes pour lutter contre les risques psychosociaux fait débat. L'échéance est tombée hier. Sous peine de voir leurs noms livrés en pâture à l'opinion publique, les entreprises de plus de 1.000 salariés devaient avoir engagé des négociations sur le stress avant le 1er février. C'est une mesure phare du plan d'urgence lancé début octobre par le ministre du Travail, Xavier Darcos, suite à la vague de suicides qui a frappé France Télécom
. Le gouvernement devrait établir un premier bilan des bons et des mauvais élèves à la mi-février. Ainsi, le sujet est sur la table de 2.500 grandes entreprises. Toutefois, ces accords suffiront-ils à faire reculer le stress ? Pas sûr. « Pour se mettre en conformité dans un délai aussi court, la tentation est grande d'inclure, dans les accords, des actions visibles, qui ont de l'allure, mais qui n'ont d'impact que sur le court terme », estime Marc Banet, expert en prévention des risques psychosociaux au sein de l'association Entreprise & Personnel."
Pour lire la suite de l'article :

mardi 26 janvier 2010

A propos du lien de subordination du contrat de travail

« …Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné… » (Cass. soc., 13 novembre 1996, Bull. civ., V, n° 386). De cette définition, donnée par la jurisprudence et non par la loi, résultent les trois critères caractéristiques du contrat de travail : la prestation de travail réalisée au profit d’un autre ; la rémunération due en contrepartie ; le lien de subordination (subordination juridique).

Si prestation et rémunération peuvent être discutées, voire négociées, lors d’une embauche donnant lieu à une convention écrite, qu’en est-il du troisième critère : le lien de subordination ? Cette limitation d’une partie des droits et des libertés personnelles s’exprime par le règlement intérieur et se traduit par un pouvoir disciplinaire assorti de sanctions.

Cette dépendance juridique a-t-elle une place dans les pensées du sujet désireux de, ou encourager à, ‘trouver vite un emploi’ ? Quelles sont les conséquences de cette soumission théoriquement volontaire dans le psychisme et les gestes du sujet au travail ?

La théorie de la culture comme relation entre dominants et dominés formulée par le philosophe allemand Fichte en 1793 permet une première compréhension de la dimension psychologique du lien de subordination instauré par le contrat de travail.

Entendue via la question philosophique de la Culture (à la fois source de formation et synonyme du mot civilisation), la subordination est abordée par Fichte comme élément de détermination extérieure nécessaire pour tendre vers la culture, qu'il définit comme le « processus par lequel l’homme devient libre, c’est-à-dire ne dépend plus que de lui-même, de son Moi pur ».

Pour Fichte, « aucun phénomène n’a de valeur qu’autant qu’il concourt à la culture ». Au regard de cette affirmation, si la mise au service d’un autre de son habileté professionnelle constitue un processus individuel qui tend à l’obtention d’une reconnaissance véritablement nécessaire pour exister, travailler participe également à la création collective et historique de la culture, donc favorise l’exercice de la liberté, de « l’absolue indépendance par rapport à tout ce qui n’est pas nous-mêmes ».

Ce développement harmonieux, tant individuel que social, qui se dégagerait ainsi de l’exercice professionnel d’un métier, s’invente et fluctue depuis le couple antique maître-esclave. Le cadre actuel juridique du travail peut être pensé comme instaurant d’entrée un lien de domination qui pervertit le processus de culture en ne permettant plus à l’homme de vouloir et de pouvoir ce qu’il veut, en accord avec ce qu’il considère devoir.

L’acte de soumission à un vouloir plus puissant retire aux sujets « le pouvoir de vouloir des fins qui soient les leurs ». Ainsi « Coupé de son but final – l’autonomie absolue de la volonté – le processus culturel s’est transformé en une histoire de la domination et de l’asservissement de tous par quelques-uns. » Même si cette domination contient en elle-même les germes de l’identité personnelle qui se consolide dans l’intersubjectivité des relations de travail, et dans la reconnaissance par autrui du travail effectif réalisé.

Le lien de subordination du contrat de travail induit une conscience dominée alors même que le sujet conserve une autonomie d’action objectivée par les efforts qu’il déploie dans le réel de son activité. Ainsi le travail permet de produire une objectivité propre au sujet, et rejoint la conception de la culture comme processus de formation.

Ce paradoxe illustre la condition de réciprocité dont seule l’existence transcende l’asservissement possiblement contenu dans le lien de subordination, c’est-à-dire une réciprocité qui implique la reconnaissance des besoins de chacun et du travail des uns par les autres et leur confère un caractère social.

Cet article qui n’est pas militant propose une réflexion qui n’apporte pas de réponse mais travaille une question. Ramener à la conscience l’existence du lien de subordination dans le contrat de travail réduirait la force nocive d’un aussi puissant levier psychologique. Cela peut permettre de mieux comprendre la souffrance au travail et de d’accroître la vigilance sur ce vécu.

Valérie Tarrou

Fichte J.G. (rééd. 1974). Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française. Paris : Payot.

Dejours C. (1993). Travail : usure mentale. Paris : Bayard Editions.
Fischbach F. (1999). Fichte et Hegel - La reconnaissance. Paris : Puf.
Freud S. (1929). Le Malaise dans la culture. Paris : PUF Quadrige.
Hegel G.W.F. (rééd 1975). La Phénoménologie de l’esprit. Paris : Aubier.

mardi 5 janvier 2010

Christophe Dejours, entretien sur le travail

Thomas Lacoste a réalisé 8 films-entretiens sur le travail et les luttes sociales avec Etienne Balibar, Robert Castel, Patrice de Charette, Christophe Dejours, Charles Piaget et Renaud Van Ruymbeke. Ci-dessous, le lien pour visionner Penser le travail, une urgence politique l'entretien de Christophe Dejours, réalisé avec Sonya Faure :
http://www.labandepassante.org/travail-et-luttes.php

« Les entretiens reviennent sur ce qui est bien la question sociale, aujourd'hui comme hier : le travail. Cette série d'entretiens croise les regards du philosophe, du sociologue, du psychologue, du juriste, du syndicaliste sur la centralité du travail, la souffrance qu'elle génère aussi (Christophe Dejours), l'installation d'une partie croissante des travailleurs dans le précariat (Robert Castel), les mobilisations passées autour du travail (Etienne Balibar sur 68, Charles Piaget sur LIP) qui permettent aussi de penser les révoltes présentes, les tentatives du pouvoir pour corseter l'action des juges en matière de droit du travail (Patrice de Charette) ou de lutte contre la corruption financière (Renaud Van Ruymbeke). »
Film Penser le travail, une urgence politique (45'28, DVD, LBP/Mouvements, 2007, 12€).