dimanche 28 février 2010

Rouge, orange ou verte : des listes qui n'évaluent toujours pas le travail

Jeudi 18 février 2010 une carte tricolore (rouge, orange, vert) témoignait de la contagion de la passion évaluatrice des entreprises. Le ministère du Travail publiait sur son site la liste mesurant le degré d'engagement des entreprises dans des négociations pour prévenir le stress au travail.

Il s’agissait bien là d’une évaluation individuelle des résultats. Une démarche gestionnaire considérée par les organisations de travail comme allant-de-soi, légitime et source de motivation.

Comment penser, alors, le retrait de la consultation publique, le lendemain même, de la liste rouge (sociétés qui n'ont rien entrepris ou n'ont pas répondu au questionnaire soumis par le ministère) et de la liste orange (entreprises qui ont engagé une ou plusieurs réunions de négociations ou de discussions) ?

Un classement qui présentait les résultats d'une mesure dite phare du plan national d'urgence lancé début octobre par Xavier Darcos suite aux suicides de salariés de France Télécom.

Pourquoi avoir retiré ce bilan ? La circonspection aurait-elle été de mise ? Les entreprises auraient elles argué qu’il n’était donné ainsi à voir que le résultat de leur travail et non la qualité des efforts engagés ? Ni leur intensité ou leur contenu pour initier des négociations sur le stress avant le 1er février ?

Au-delà des conséquences directes que cette évaluation pouvait avoir sur leurs ventes ou leur image, les entreprises auraient-elles ressenti les effets pervers d’une évaluation qui ne tient pas compte du décalage existant entre le travail prescrit et la réalité concrète de la situation de travail ? Auraient-elles compris que le refus de la mise en visibilité du travail réel génère une souffrance psychique et érode l’envie de s’investir.

De ce point de vue, le retrait des listes stigmatisantes favorisera peut-être la mise au travail des entreprises sur la question de la prévention des risques d’atteinte à la santé mentale des salariés.

Les listes restent consultables sur le net. La liste verte (entreprises ayant signé un accord de fond ou de méthode) reste visible sur le site du ministère du Travail qui s'est engagé à publier la mise à jour des listes rouge et orange d'ici deux mois.
http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Les listes rouge et orange continuent de circuler, par exemple :
http://carlanoirci.wordpress.com/2010/02/20/liste-censuree-des-entreprises-listees-en-rouge-pour-un-risque-de-gros-stress/
http://voila-le-travail.fr/2010/02/21/stress-la-liste-rouge-retrouvee/

Que le retrait de ces listes rappelle que l’évaluation des résultats, des compétences ou des performances, « pourtant n’est toujours pas l’évaluation du travail » (1).

Valérie Tarrou

1) Dejours, C. (2003). « L’Evaluation du travail à l’épreuve du réel ». Paris : Inra.

mercredi 24 février 2010

Maladie professionnelle : une obligation de sécurité de résultat pour l’employeur

Le travail doit être adapté à l’homme et non l’inverse. Convoquer cette logique est une nécessité, en particulier pour la prévention des risques psychosociaux en entreprise.

L’employeur est tenu à mettre en œuvre des démarches qui témoignent de l’engagement de l’entreprise à respecter ce principe d’adaptation du travail à l’homme, en particulier par la réalisation et la mise à jour annuelle du document unique (1). Plus récemment, en s’engageant dans le plan d’action d’urgence contre le stress instauré par le ministère du Travail (2).

En cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité civile de l’employeur peut être engagée si la faute inexcusable est reconnue, cela entraînant une réparation du préjudice subi (souffrances morales et physiques, esthétiques…).

En la matière, depuis 2002, s’impose à l’employeur une obligation de sécurité de résultat, et non plus seulement de moyen, dans l’organisation d’actions de prévention des risques psychosociaux. Il lui faut aller plus loin que la norme, donc aussi loin que possible car en la matière il n’y a pas de norme.

La loi et la jurisprudence encadrent cette obligation. Un arrêt de référence de la chambre sociale de la Cour de cassation(n°837) en date du 28 février 2002 adopte une définition de la faute inexcusable :
« Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. »

La responsabilité de l’employeur est donc engagée, pour les maladies professionnelles liées en particulier à l’amiante, pour les accidents du travail liés notamment au risque mécanique ou électrique, ainsi que pour les risques psychosociaux, dont le harcèlement moral est une illustration.

Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Tours vient pourtant de rejeter la «faute inexcusable» d’EDF dans le suicide d’un technicien supérieur travaillant à la centrale nucléaire de Chinon. Alors que le suicide de Dominique Peutevynck a été reconnu comme maladie professionnelle par la CPAM de Tours, puis par ce même tribunal, ce qui établit « un lien direct et essentiel » entre le passage à l’acte du salarié et ses conditions de travail.

Il est précisé dans l’article paru le 23 février 2010 dans l’Express (3) sous le titre « Suicide d'un salarié d'EDF : pas de faute inexcusable de l'employeur » qu’un appel de cette décision a été interjeté. Il sera intéressant de connaître la position qu’adoptera la cour d’appel d’Orléans : le suicide ayant été reconnu maladie professionnelle, sur la base de quels critères (juridiques, organisationnels,…) l’employeur sera-t-il ou ne sera-t-il pas tenu pour responsable de la souffrance ressentie par cet homme dans son rapport au travail ?

Valérie Tarrou

1) Le document unique est la transposition par écrit de l’évaluation des risques professionnels. Il a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 (art. R.4121-1 du code du Travail), il est obligatoire pour toutes les entreprises et associations de plus de un salarié et permet de lister et hiérarchiser les risques pouvant nuire à la sécurité de salarié et de préconiser des actions visant à les réduire voire les supprimer.

2) Plan d’action d’urgence contre le stress : renforcer la prévention des risques professionnels en obligeant les entreprises à des négociations sur l’amélioration des conditions de travail. Le 17 février 2010 le ministère du Travail a publié le classement actuel des entreprises ayant engagées des actions : http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Cf article ci-dessous du 2 février.

3) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/suicide-d-un-salarie-d-edf-pas-de-faute-inexcusable-de-l-employeur_850815.html

vendredi 19 février 2010

Invitée pour des échanges blog-travail sur RFI

Invitée sur RFI à parler de mon blog consacré au travail, c’est en compagnie de Sabine Aumaître (« Blog de Sabine Aumaître ») et d’ Elsa Fayner (blog « Et voilà le travail »), que j’ai répondu aux questions de Ziad Maalouf et de Cédric Kalonji pour l’émission l’Atelier des médias.

L’Atelier des médias sur RFI, 89 FM à Paris, de 11h10-11h30 :
R/Evolutions dans les médias, de 11h33-12h00 : Médias du monde + Les Observateurs de France 24 et de 12h10-12h30 : MondoBlog. La rubrique Mondoblog de cette web-émission participative partage et discute sa veille de la blogosphère francophone.

Diffusion de ces échanges samedi 20 février à 12h10. Pour une écoute en ligne (n°116-4) :
http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/emission-1164-les-blogs-qui

Ces échanges ont questionnés l’origine de ma démarche.
En tant que psychologue du travail, j’inscris principalement mon action dans un champ thérapeutique. Créer ce blog est le moyen de proposer une autre forme d’aide, en présentant des clés de compréhension théoriques des situations de travail.
Comprendre « comment c’est arrivé ? », « pourquoi ça m’est arrivé à moi ? » est une étape qui permet de redonner du sens à l’histoire vécue, de pouvoir la penser sur un mode autre que défensif.
Le travail est un élément majeur de la construction de soi, le travail nous construit.Quand est maltraité le rapport instauré entre soi et le travail, un pilier fondamental de l’identité personnelle est ébranlé.Tout sujet est amené à décompenser quand il est porté atteinte à son rapport subjectif au travail. Seul le mode de décompensation est d’ordre personnel.Il ne s’agit point ici de fragilité individuelle. Plus un sujet est investi dans son travail, se donne et reçoit, plus une rupture induite par des changements d’organisation du travail peut avoir des effets pathogènes.

Parvenir à remettre de l’ordre logique dans une situation douloureuse aide à sortir de la confusion. Ce blog tend à participer à cette quête de sens, dans les situations individuelles, dans l’actualité sociale, par des apports théoriques de psychologie du travail.

Valérie Tarrou

dimanche 14 février 2010

Pour ne pas taire les suicides...

Le travail continue à pousser certains salariés au suicide, pourtant l'écho de ces passages à l'acte semble diminuer. Les difficultés rencontrées par les acteurs sociaux, économiques, politiques, pour répondre activement aux questions « que faire après un suicide ? » et « que transformer dans l'organisation du travail pour prévenir les décompensations ? » généreraient-elles un trouble dans les pensées poussant au silence, là où il serait nécessaire que tout le monde parle ? Dans cette logique, reprise ci-dessous, d'un article du Monde paru vendredi 12 février 2010 : « Deux nouveaux suicides à France Télécom ».
« Deux salariés de France Télécom se sont suicidés ces derniers jours hors de leurs lieux de travail, a annoncé vendredi 12 février la direction, qui ne privilégie ni n'exclut aucune hypothèse quant à un lien éventuel avec le travail."L'entreprise est sous le choc", a déclaré un porte-parole de France Télécom, groupe déjà marqué par une série de suicides de salariés en 2009. "A l'heure qu'il est, on ne peut ni privilégier ni exclure aucune causalité." Ces deux cas portent à cinq le nombre de suicides de salariés depuis début janvier, tous en dehors de leur lieu de travail, d'après le syndicat SUD. La direction les a tous a confirmés.
Le dernier cas est celui d'un salarié âgé de 32 ans, employé à Dijon dans le domaine des services aux entreprises, qui s'est suicidé jeudi soir à son domicile. D'après une source syndicale, il était cadre et, comme 35 % des salariés de France Télécom, sous contrat de droit privé. Après un arrêt longue maladie, il avait repris le travail il y a quelques mois.
Le second est un technicien d'une cinquantaine d'années de la Haute-Normandie, qui s'est donné la mort dans une forêt mardi 9 février. Une enquête de gendarmerie est en cours, a précisé France Télécom. D'après SUD, il avait le statut de fonctionnaire.
Le nombre de suicides de salariés de France Télécom en deux ans (2008 et 2009) s'élevait à trente-cinq au 31 décembre dernier, selon plusieurs syndicats. Le 1er décembre, la direction avait annoncé avoir transmis à l'inspection du travail trente-deux cas de suicides de salariés en deux ans.

"Depuis début janvier cela commence à faire beaucoup, sans compter au moins trois tentatives de suicides, cela rappelle la crise de juillet 2009", a déclaré Patrick Ackermann
, du syndicat SUD, également membre de l'Observatoire
du stress et des mobilités forcées de France Télécom, mis en place par les fédérations syndicales CFE-CGC et SUD de l'entreprise.
De son côté, la CGT, prudente dans l'attente de davantage d'informations sur ces cas, réclame "d'aller plus vite dans les négociations en cours sur l'organisation du travail, qui est pathologique". La CFDT s'est également déclarée "inquiète" tout en précisant qu'elle attendait les résultats des enquêtes.
Pour M. Ackermann, "la tension est très forte dans l'entreprise, d'autant que la direction met du temps à reconnaître que des suicides ont un lien avec le travail". Il fait notamment allusion au suicide d'un salarié fonctionnaire d'Annecy le 28 septembre dernier. Alors qu'une étude commandée par le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) a conclu au lien avec le travail, la direction ne l'a pas encore classé en accident de service. Le comité central d'entreprise de France Télécom a demandé dans une motion il y a quelques jours que cela soit fait très rapidement.
France Télécom a expliqué, de son côté, attendre les conclusions début mars d'un inspecteur général des affaires sociales nommé par le ministre du travail en novembre pour rendre un avis sur la reconnaissance de suicides de fonctionnaires de France Télécom en accident de service. »

mardi 2 février 2010

Lutter contre le stress : démarche collective ou individuelle ?

Ci-dessous un article publié ce 2 février par les Echos abordant les différentes approches de prévention des risques psychosociaux, et en particulier du stress.
"Lutte contre le stress : les entreprises sous pression"
"Les sociétés de plus de 1.000 personnes devaient avoir entamé des négociations sur le stress avant le 1er février. Mais le choix des armes pour lutter contre les risques psychosociaux fait débat. L'échéance est tombée hier. Sous peine de voir leurs noms livrés en pâture à l'opinion publique, les entreprises de plus de 1.000 salariés devaient avoir engagé des négociations sur le stress avant le 1er février. C'est une mesure phare du plan d'urgence lancé début octobre par le ministre du Travail, Xavier Darcos, suite à la vague de suicides qui a frappé France Télécom
. Le gouvernement devrait établir un premier bilan des bons et des mauvais élèves à la mi-février. Ainsi, le sujet est sur la table de 2.500 grandes entreprises. Toutefois, ces accords suffiront-ils à faire reculer le stress ? Pas sûr. « Pour se mettre en conformité dans un délai aussi court, la tentation est grande d'inclure, dans les accords, des actions visibles, qui ont de l'allure, mais qui n'ont d'impact que sur le court terme », estime Marc Banet, expert en prévention des risques psychosociaux au sein de l'association Entreprise & Personnel."
Pour lire la suite de l'article :