samedi 27 novembre 2010

Comment le travail peut-il faire si mal ?

Dans la démarche d’analyse et de compréhension d’une situation génératrice de souffrance au travail existe une interrogation douloureuse récurrente formulée par les salariés : «Comment le travail peut-il faire si mal ?»

Le ton de la voix parle de trahison. D’expérience structurante, le travail est devenu destructeur. Certains témoignent du soutien trouvé dans l’exercice de leur travail lors d’un divorce, d’autres de la ressource qu’a constitué leur activité pendant le traitement d’une longue maladie. Que le sens du travail ait déjà été ainsi mis en tension ou vécu sans questionnement par le salarié, l’ampleur de la souffrance ressentie provoque en elle-même une sidération de la pensée du sujet.

Dans une même phrase un sujet en souffrance du fait de son travail peut confier «au travail, j’étais une personne», puis enchaîner «je ne comprends pas ce qui m’arrive, pourquoi je suis détruit par cette histoire». Le lien est difficile à ressentir et à penser entre la centralité du travail dans l’équilibre de la vie et l’atteinte majeure que la dégradation des conditions du travail porte à la santé.

La souffrance est vécue au présent, massive, sans distanciation. La perte de l’espoir de changer la situation dans l’organisation du travail marque le passage à un état pathogène qui attaque le corps, la cognition, la dignité et l’estime de soi.

«Fatigue, maux de tête, de ventre, douleurs articulaires, etc., notre corps est le premier à nous signaler que les limites sont atteintes. Puis l’anxiété monte avec l’apparition de troubles du sommeil, l’augmentation de la prise de médicaments ou d’alcool. Lorsque nous commençons à avoir peur d’aller travailler et que les ruminations deviennent obsédantes, il est urgent de se faire aider.» conseille Marie Pezé, psychologue et psychanalyste.

Pour un sujet, il n’y a que la médiation de la parole pour exprimer un ressenti qui ne se voit pas. Une parole désirée par le sujet, adressée et accueillie dans un cadre qui permette l’expression d’une parole authentique sur le travail. A l’extérieur de l’entreprise, afin de ne pas rester isolé, le salarié peut se tourner vers le médecin du travail, son médecin généraliste ou une consultation spécialisée.

Le rapport au travail est ambigu, en parler révèle ses ambiguïtés. Il est difficile de cheminer vers la compréhension d’une situation de travail sans en rapatrier les contradictions à l’intérieur de soi et ainsi percevoir sa part de contribution à l’insupportable. Il est alors important d’établir une chronologie des événements qui va éclairer l’enchainement des modifications des conditions de travail et généralement aider le salarié à prendre conscience que bien qu’impliqué il n’est pas responsable.

Quand donner du sens à son action n’est plus permis car pointé comme indésirable pour atteindre des objectifs qui relèvent de l’idéal et non du réalisable, quand on en vient à mobiliser son intelligence pour réaliser des actes réprouvés, quand confiance, solidarité et collectifs sont découragés et que la situation au travail est vraiment difficile à supporter, il faut connaître ses droits, ne pas hésiter à les faire valoir et, dans la mesure du possible, rétablir la parole collective pour dire ce qui dysfonctionne dans le travail.

Valérie Tarrou

mardi 23 novembre 2010

Marie-France Hirigoyen : « Toutes les violences sont liées »

Psychiatre, auteure d’ouvrages sur le harcèlement moral dans le monde du travail (1) et sur la violence dans le couple, le docteur Marie-France Hirigoyen est interviewée par Clicanoo.re le Journal de l’île de la Réunion où elle anime actuellement des formations.

« J’essaie d’expliquer la mise en place de la violence conjugale, qui a des conséquences sur le devenir des enfants, parce qu’ils y assistent. Et j’essaie de montrer que toutes les violences sont liées : faire de la prévention pour les violences conjugales, c’est faire de la prévention des autres violences : au travail, ou celle des jeunes qui peuvent devenir délinquants, ou celle des maris violents. Ce n’est pas une fatalité, il faut faire de l’éducation. »
Pour lire l’intégralité de cet article du 23 novembre 2010 :
http://www.clicanoo.re/11-actualites/15-societe/264779-toutes-les-violences-sont-liees.html
1) Cf. article du 30 mai dans ce blog sur le harcèlement moral.

mardi 16 novembre 2010

Yves Clot : défendre la qualité du travail

Dans une interview accordée à l'Humanité, le 15 novembre, Yves Clot (1) aborde la question des liens entre santé et qualité du travail et la développe dans le contexte de la réforme des retraites : « Mais on vient d’officialiser le fait que la maladie, le handicap ou la souffrance soient le dernier recours pour se sortir d’un travail usant et soi-disant intouchable. Il faudra prouver qu’on est une victime et jouer de ses infirmités pour s’échapper du travail. Est-ce là l’idée qu’on se fait du travailleur? » Pour lire l'article dans son intégralité :
http://www.humanite.fr/14_11_2010-yves-clot-%C2%AB-s%E2%80%99attaquer-au-conflit-sur-la-qualit%C3%A9-du-travail-%C2%BB-457685
1) Titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam. Dernier livre : le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Éditions La Découverte, 2010.

samedi 13 novembre 2010

Actualités sur la réforme de la médecine du travail

Lors d’une interview à Medecinews, Marie Pezé avait souligné l’importance de la fonction du médecin du travail face à la souffrance au travail : « L’image du médecin du travail est malheureusement souvent négative alors qu’il est un acteur médical central dans l’entreprise puisqu’il est le conseiller du salarié comme du chef d’entreprise. Il est le seul à pouvoir entrer dans l’entreprise, faire une visite de poste, mettre inapte temporairement ou définitivement, faire muter, reclasser, alerter sur une situation de harcèlement véritable. Il fait appliquer le Code du travail. Les pratiques de coopération avec lui sont fondamentales et il est soumis au secret professionnel comme les autres médecins. »

Dans le même mouvement que la réforme des retraites se profilaient des modifications du cadre législatif de la médecine du travail. Le Conseil constitutionnel a censuré les articles entraînant ces changements qui auraient directement affecté tant les praticiens que les salariés. L’article de Cécile Azzaro (AFP 9-11-10), reproduit ci-dessous, détaille cette actualité de la réforme des services de santé au travail.

« Le gouvernement entend remettre rapidement sur la table la réforme de la médecine du travail, introduite en catimini dans le texte sur les retraites et invalidée mardi par le Conseil constitutionnel, afin notamment d'améliorer la prévention et de faire face à la pénurie de médecins. Le Conseil constitutionnel a validé mardi la réforme des retraites adoptée par le Parlement le 27 octobre, mais censuré le volet sur la médecine du travail qui avaient été ajouté par amendements, au motif qu'il s'agissait de "cavaliers législatifs" sans lien "avec le projet de loi initial".
Le ministre du Travail, Eric Woerth, a aussitôt déclaré que "compte tenu du caractère indispensable de la réforme de la médecine du travail pour la santé des salariés, les articles censurés feront l’objet d’un projet de loi spécifique dans les meilleurs délais".
Mais la décision du Conseil constitutionnel a été saluée par les syndicats et les professionnels de santé au travail, qui avaient dénoncé à plusieurs reprises une réforme introduite "en catimini", au moment où les risques psychosociaux (stress, violence au travail, harcèlement, suicides) et les maladies professionnelles augmentent.
Cette réforme est dans les tuyaux depuis plus de deux ans, et des rapports ont déjà souligné l'urgence à renforcer la prévention des risques professionnels et à pallier la pénurie de médecins du travail. La France n'en compte que 6 500 (dont trois quarts ont plus de 50 ans), chargés de suivre près de 16 millions de salariés du privé, dans des services de santé au travail autonomes ou interentreprises.
La réforme souhaitée par le gouvernement instaure des équipes pluridisciplinaires de santé au travail, comprenant notamment médecin du travail, intervenants en prévention des risques professionnels et infirmiers. Elle permet aussi à l'employeur de désigner dans l'entreprise des "salariés compétents" chargés de la prévention des risques, et prévoit que le suivi de certains salariés (intermittents du spectacle, salariés du particulier-employeur) soit réalisé par des généralistes.
Les syndicats espèrent que la censure du Conseil constitutionnel sera l'occasion d'"une vraie discussion", explique Jean-Marc Bilquez (Force ouvrière), et que "cela obligera le gouvernement à faire d'autres propositions", ajoute Mireille Chevalier, du Syndicat national des Professionnels de Santé au Travail.
Le gouvernement a jugé de son côté que la décision du Conseil constitutionnel n'était "en aucun cas un rejet (...) sur le fond", même si le Conseil ne s'est prononcé que sur la forme.
Les syndicats estiment notamment que la réforme met à mal l'indépendance des médecins du travail, en les assujettissant davantage aux employeurs.
"La prévention en santé au travail ne doit pas dépendre des employeurs", si l'on veut faire le lien entre santé et travail, insiste Odile Chappuis, membre d'un collectif de médecins du travail.
D'autres dénoncent une fausse parité syndicats-employeurs au sein des conseils d'administration des services de santé au travail, puisque que le président, qui a une voix prépondérante, ne peut être issu que des employeurs. "On veut un système paritaire, avec alternance du président et du trésorier", explique Bernard Salengro, qui dénonce "des détournements financiers".
"Il faut en finir avec ce paritarisme patronal", ajoute Jean-François Naton (CGT), en jugeant la réforme "urgente".
La Fnath, association des accidentés du travail, espère quant à elle voir surgir "un véritable débat au sein du Parlement mais aussi de la société civile". »
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jXmLq_Gpxx1DnAF1K3AIKLsYWf7Q?docId=CNG.9173de61e52adabd7200a5b2fa27ffbc.51

Valérie Tarrou