mardi 22 février 2011

« Sortir de la souffrance au travail » par C. Dejours

Christophe Dejours, psychanalyste et psychiatre, dans un article du Monde du 22 février analyse les obstacles générateurs de souffrance au travail et développe les solutions visant à reconstruire le lien entre le travail et la vie.
Il pointe particulièrement les effets dévastateurs de l’évaluation (1) : « Parmi les outils de gestion, on a montré que le plus délétère de tous pour la santé mentale est l'évaluation individualisée des performances. Couplée à la menace sur l'emploi, cette méthode d'évaluation se mute en management par la menace. Elle introduit la peur comme méthode de gouvernement, et elle monte tous les travailleurs les uns contre les autres, déstructurant ainsi les solidarités et le vivre-ensemble
Pour lire l’article : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/21/sortir-de-la-souffrance-au-travail_1483153_3232.html

1) Dejours, C. (2003). « L'Evaluation du travail à l'épreuve du réel ». Paris: INRA.

jeudi 17 février 2011

Quand le management utilise les outils de morbidité

Envisager que la connaissance des étapes du deuil donnera aux cadres dirigeants des moyens pour mener à bien auprès des autres salariés la réorganisation engagée par une entreprise (fusion, mutation, licenciement…) est un parti pris retenu par France Télécom puis maintenant par France Télévisions.

Ne peut-on penser que ce choix constitue une ‘double peine’ ? ‘Double’, car elle affectera autant les cadres qui devront appliquer une méthode inadéquate que les salariés qui la subiront. ‘Peine’, car le recours à une conceptualisation des étapes du deuil sonne d’emblée faux, comment l’utilisation des représentations intimes de la mort pourrait apporter des réponses à des souffrances issues du champ du travail ?

Dans l’article écrit par Nolwenn Le Blevennec pour Rue89 « La “Courbe du deuil” de France Télécom à France Télévisions » il m’est de suite apparu que cet usage était « déplacé » : http://eco.rue89.com/2011/02/16/la-courbe-du-deuil-de-france-telecom-a-france-televisions-190719

En clinique, le deuil est une séparation ou une perte caractérisée par son irréversibilité. Si un licenciement, une mutation, peuvent représenter une perte douloureuse de l’emploi ou du poste, la continuité de l’existence de l’entreprise empêche de ressentir cet événement comme irréversible. De plus, la femme ou l’homme concerné ne perd pas son métier, son expérience professionnelle lui appartient en propre, même si elle s’inscrit dans une histoire plus large que le seul sujet.

Dans le cadre d’une réorganisation, le travailleur vit des séparations qui ne relèvent pas du deuil car elles sont potentiellement réversibles. Cette approche n’exclut en rien la souffrance liée à la rupture avec l’activité, une entreprise, des collègues, un environnement que la confrontation quotidienne à la réalité du travail ont rendu familier.

La perte d’une personne aimée inaugure le deuil qui contient des mécanismes complexes à appréhender. Le travail de deuil suppose que le psychisme se transforme. Ce qui avait été affectivement investi doit être repris, selon des étapes nécessaires, en effet, et dans le respect de la temporalité des étapes du deuil de chacun.

Mais le deuil n’est pas l’oubli, c’est une relation qui se modifie mais qui continuera à nous influencer. Aussi tentante que soit la démarche intellectuelle d’établir un parallèle entre ‘perdre son emploi’ et ‘perdre un être aimé’, le recours au travail du deuil dans la sphère professionnelle me parait erroné et grave. Il pousse à un amalgame source d’angoisse, voire de maladie. Mené vers la résignation de la dépossession de sa place dans l’entreprise, le salarié doit assumer seul les suites de décisions qu’il ne peut discuter. Comment parviendra-t-il à se tourner vers un avenir professionnel vidé d’un vécu constituant de son identité personnelle ?

Une réorganisation est une rupture mais pas une mort et ne devrait pas être gérée en référence au travail de deuil. Lors de ce type d’événement, l’entreprise qui s’attacherait à dire ses résolutions, à éclairer les décisions dans lesquelles chacun va devoir s’engager, à en permettre la discussion collective, assumerait son rôle de direction. Elle ne modifierait pas les conséquences de ses choix ou obligations organisationnelles mais dans le respect de ses salariés remplierait son obligation de sécurité de résultat en matière de santé au travail.

Valérie Tarrou

• Ancelin Schutzenberger, A., Bissone-Jeufroy, E. (2008). « Sortir du deuil, surmonter son chagrin et réapprendre à vivre ». Paris : Payot.
• Dolto, F. (1985- Ed 1998). « Parler de la mort ». Paris : Mercure de France.
• Enriquez, E. (1992). « L’Organisation en analyse ». Paris : PUF.
• Freud, S. (1915 – Ed 2011). « Deuil et mélancolie ». Paris : Payot.

mercredi 16 février 2011

Faire taire Jean-Robert Viallet ?

« La Mise à mort du travail », le film de Jean-Robert Viallet, déplie en trois temps - la Dépossession, l'Aliénation et la Destruction- le vécu professionnel d’hommes et de femmes « dans un monde où l'économie n'est plus au service de l'homme mais l'homme au service de l'économie ». L’auteur dénonce les méthodes de gestion de plusieurs entreprises dont celles de la société Carglass qui avait accepté d’être observée et filmée.

Aujourd’hui, cette dernière réclame 200 000 euros à Jean-Robert Viallet pour diffamation. Télérama développe ce sujet : « Carglass s’attaque à “La Mise à mort du travail” » :
http://television.telerama.fr/television/quand-la-societe-carglass-tente-de-faire-lourdement-condamner-un-documentaire-de-france,65630.php

vendredi 11 février 2011

Quand la souffrance éthique atteint la Justice

Dans le contexte de grève des magistrats, avocats et huissiers de justice qui, mis en accusation, dénoncent un manque de moyens, de budgets et d’effectifs ne leur permettant pas de faire correctement leur travail, le Monde rappelle le suicide de Philippe Tran-Van, juge d’instruction, qui le 16 septembre 2010 s’est donné la mort.

La lettre écrite par ce magistrat pour expliquer son geste décrit un profond contexte de souffrance au travail : surcharge de travail, grande implication personnelle pour y faire face au détriment de sa vie familiale, absence de la moindre reconnaissance, dénigrement de ses capacités et qualités personnelles, procédures disciplinaires.

Dans l’exercice empêché de sa charge, les propos de sa femme dénoncent une souffrance éthique : « Pour lui, avoir à établir des priorités, devoir choisir, abandonner des gens à leur détresse, c’était insupportable. »

Parmi les règles de métier, telles que les a théorisées la Psychodynamique du travail, les règles éthiques impliquent un accord entre pairs sur ce qui dans le travail est considéré comme valide, correct, juste ou légitime. Quand les règles éthiques sont atteintes, « le sujet en arrive à exécuter des ordres que pourtant il réprouve parce qu’ils provoquent le désarroi, la souffrance, l’angoisse ou le désespoir des victimes. D’apporter ainsi son zèle à un système qui génère la souffrance et l’injustice provoque un conflit entre ce que le sujet sait ne pas devoir accepter et ce qu’il fait quand même. » (1)

Exercer sa profession dans le domaine de la Justice, avoir choisi de représenter la Loi, et ne pouvoir dans le quotidien de son travail se sentir dans le respect de règles fondamentales tant pour soi que pour ses collègues porte une atteinte majeure à l’équilibre du corps et à l’organisation du psychisme.

La lettre du juge d’instruction témoigne d’un écart qu’il ne pouvait plus combler entre un idéal de soi, ses valeurs, ce qui concrètement en situation de travail était juste ou injuste de faire, moralement acceptable ou pas et les compromis qui régissaient son activité. La visée éthique du travail au regard du sens que l’on souhaite donner à sa vie est centrale.

Valérie Tarrou

1) Molinier, P., (2006). « Les enjeux psychiques du travail ». Paris : Payot.P. 127.

mardi 8 février 2011

Interviewée pour France 5 Emploi

« Faire face à la souffrance au travail », une interview réalisée pour France 5 Emploi écrit par Odile Gnanaprégassame : « Le mal être au travail n’est pas une fatalité. Sortir de l’isolement et mettre des mots sur sa souffrance : tels sont les conseils de Valérie Tarrou, psychologue du travail et psychanalyste. » Pour lire l’intégralité de l’article suivre : http://emploi.france5.fr/emploi/droit-travail/sante/67236547-fr.php

mercredi 2 février 2011

Prix du Meilleur Ouvrage sur le monde du travail

Club d’élus de représentants des salariés, le Toit Citoyen, qui se veut lieu de partage d’expérience, vient de décerner les Prix du Meilleur Ouvrage sur le monde du travail.

Cette première édition a élu Yves Clot lauréat dans la catégorie Expert pour son ouvrage « Le Travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux » paru aux Editions La Découverte. Vincent Talaouit et Bernard Nicolas, auteurs de « Ils ont failli me tuer » paru chez Flammarion, sont lauréats dans la catégorie Salarié.

« Le Prix du Meilleur Ouvrage sur le monde du travail est le premier prix littéraire à aborder le monde du travail sous un angle prospectif en remettant un prix à un professionnel pour son regard spécifique sur les mutations à l’œuvre et un prix à un salarié pour la véracité et l’impact de son témoignage. »
http://www.toitcitoyen.com/Et-les-laureats-sont_a359.html

mardi 1 février 2011

Souffrance au travail : l'analyse de l'anthropologie juridique

A propos de la perte de sens du travail induite par le taylorisme actuel tant pour les cols bleus que pour les cols blancs : un article éclairant paru dans Le Monde du 31-01-2011 « Les cadres sont-ils les nouveaux OS du XXe siècle ? » par Gabriel Blumen, chercheur en anthropologie juridique. http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/31/les-cadres-sont-ils-les-nouveaux-os-du-xxe-siecle_1471793_3232.html